Sophie Fillières creusait dans le cinéma français un sillon assez singulier. Des films à l'absurde tranquille, gentiment incongrus. Aimables et modestes, à l'image de leur réalisatrice si tôt disparue. Ma vie ma gueule, posthume et terminé par ses enfants, prend nécessairement des airs de testament.
Agnès Jaoui, formidable, y camp ce qu'on ne peut voir autrement que comme un alter ego de la réalisatrice. Pour apprécier Ma vie ma gueule, il faut accepter que chaque scène finisse par sombrer dans l'incongru, parfois étiré jusqu'à devenir gênant. Cette gêne, c'est celle de Barberie Bichette, qui se trouve moche et qui ne sait pas très bien comment vivre, simplement. Malgré l'étrangeté du film, le portrait d'une solitude est d'une grande justesse. On appréciera alors les moments de grâce, comme lorsque Barberie trouve sur sa sculpture la cigarette laissée par ses enfants. Le sourire d'Agnès Jaoui transfigure la scène.
Le décès de la réalisatrice ne peut manquer de rendre plus émouvant la volonté de son personnage d'aller de l'avant malgré tout. L'hymne à la vie, chanté par une morte, gagne des accents déchirants. Ma vie ma gueule serait sans doute resté un film un peu confidentiel, sans cela. Pourtant, si l'on fait l'effort d'entrer dans cette étrangeté douce-amère, Ma vie ma gueule s'avèrera un film bien sympathique.