J'aime beaucoup Emmanuel Mouret, même si ses derniers titres m'ont laissé plus dubitatif. D'ailleurs, quoi de plus logique que de voir le dernier « gentleman » du cinéma français s'attaquer pour la première fois à un film d'époque, lui dont l'œuvre semble si souvent appartenir à un autre temps ? Sa « rencontre » avec Diderot, sans retrouver totalement le charme de « Changement d'adresse » et du magnifique « Un baiser, s'il vous plaît », lui permet de renouer avec l'élégance, la délicatesse qui caractérisaient notamment ces deux titres. Le réalisateur a su rester fidèle à ses principes et à sa vision du cinéma sans chercher un instant à moderniser l'auteur de « Jacques le Fataliste » (dont le récit est d'ailleurs un extrait) : le texte est beau, les répliques souvent brillantes, l'intelligence hors-norme de l'écrivain se ressentant constamment dans les discours, les situations, les enjeux...
Malgré un rythme légèrement indolent, on ne peut qu'apprécier la qualité d'une telle histoire, sa construction, son évolution : cela a beau être très « posé » en apparence, les mots sont une arme redoutable, où derrière l'aspect hautement respectable, notamment de Madame de La Pommeraye, se cache une vraie cruauté, tissée avec beaucoup d'habileté au fil des minutes. Cette dernière n'est toutefois jamais gratuite, l'humain restant toujours prépondérant aussi bien chez Diderot que Mouret, chacun ayant ses raisons pour agir ainsi, apparaissant cohérent avec les idées qu'il défend, sans que le moindre moralisme vienne apparaître. Et si l'on peut toujours penser que d'autres comédiens auraient peut-être été plus à leur place dans cet univers, à l'image d'une diction connaissant quelques loupés (pour le moins inhabituel chez l'ami Emmanuel), le trio Cécile de France - Édouard Baer - Alice Isaaz livre une prestation de qualité, les deux premiers apparaissant plus inspirés dans le drame que le marivaudage.
Sans oublier les séduisants seconds rôles tenus par Laure Calamy et surtout Natalia Dontcheva, que je ne connaissais pas et m'ayant fait forte impression, aussi bien par sa beauté que son talent. Avec « Mademoiselle de Joncquières », Emmanuel Mouret semble avoir réalisé le film qu'il souhaitait depuis longtemps, imparfait sans doute, mais doté de qualités suffisamment rares pour qu'il soit apprécié à sa juste valeur, à l'image des nombreux plans tout en ombre et lumière n'étant pas sans rappeler les plus beaux tableaux de l'époque. Une réussite, 73 ans après l'étonnante adaptation contemporaine de Robert Bresson, « Les Dames du bois de Boulogne ».