Médée
Le film reprend plusieurs moments phare du mythe de Médée et Jason, principalement sur le premier et dernier acte de la toison d'or. Ainsi l'histoire démarre sur une ile où Jason enfant et recueilli...
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le 3 mars 2011
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Impossible de bâtir ce compte-rendu sans avoir relu la pièce d'Euripide et d'avoir consulté "les visions" de Pasolini sur "la" Médée (Bonus très utiles du DVD). Tant qu'à faire, j'en ai profité pour établir aussi la critique de la pièce d'Euripide…
Car, si Pasolini respecte la trame de la tragédie d'Euripide, il en fait quelque chose d'autre et y introduit des aspects assez troublants. Les "visions", pour ce que j'en comprends, correspondent à un pré-scénario dont il use ou non. Parfois, ce ne sont que certaines attitudes ou images qui seront retenues dans le film montrant un scénario à tiroirs. Ces visions sont les clés de certains tiroirs pas forcément explicites au visionnage.
Alors que la pièce d'Euripide se focalise sur le personnage de Médée au moment où elle construit sa vengeance (de femme trahie) en ne faisant que de brefs rappels sur l'histoire des argonautes, Pasolini développe l'enfance de Jason, la vie spirituelle en Colchide et la rencontre entre argonautes et les habitants de Colchide.
Concernant l'enfance de Jason chez le centaure Chiron, Pasolini développe des concepts (philosophiques) de la dualité de l'homme entre son aspect profane ou sacré qu'on retrouvera tout au long du film. Par exemple, le film commence par un long monologue du centaure Chiron adressé à Jason, son protégé et son élève, en quelque sorte. Des préceptes, des consignes, des clés pour comprendre les mythes. C'est bien sûr à l'usage du spectateur. Lorsque Jason est très jeune, Chiron est un vrai centaure car Jason peut croire en l'aspect sacré (probablement plus naïf ?). Tandis qu'à l'adolescence, Jason n'ayant plus accès à l'aspect sacré, il ne peut plus voir que la forme profane du centaure qui est celle d'un homme normal.
Concernant la vie spirituelle en Colchide, Pasolini s'attache à en montrer une société barbare. Barbare au sens d'incompatible avec la civilisation grecque. Là où Euripide montrait des étrangers par rapport aux grecs sur un plan plutôt juridique, Pasolini va beaucoup plus loin. Il montre une fascinante société avec des rites religieux extrêmes, des sacrifices humains auxquels Médée, grande prêtresse, participe activement. Le tout est appuyé par une musique monocorde et contemplative très orientale. Là, de façon très explicite, Pasolini oppose les civilisations de Médée à celle de Jason. La civilisation ancestrale de la Colchide basée sur une religion sauvage et un droit coutumier face à une Grèce moderne, ambitieuse et athée. Ils ne se rencontreront et fusionneront qu'à travers un amour absolu, certes, mais surtout sexuel.
J'ai même l'impression que c'est Médée qui est amoureuse et prête à tout tandis que Jason suit et profite de la "magie" de Médée. Ce qui crée un déséquilibre structurel du couple. D'autant plus que l'arrivée de Médée en terre grecque se traduit par un changement de vêtements. Elle quitte (ou doit quitter) ses habits liés à son ancienne position pour des habits de femme ordinaire grecque. Comme s'il s'agissait d'une conversion à l'envers. Mais ceci ne suffira pas face à l'ambition de Jason.
Reste à aborder le point le plus important et le plus mystérieux du film de Pasolini : le choix du casting.
En premier lieu, on y trouve Maria Callas dans le rôle de Médée. Mettre une telle femme, une telle diva, en pleine gloire à l'opéra, dans un film où le rôle sera presque muet et de toute façon ne fera pas la moindre vocalise peut paraître surprenant et incompréhensible. D'autant que c'est son seul rôle au cinéma ! Même quand les argonautes fuient la Colchide en bateau, je m'attendais à l'approche du rocher des sirènes qu'on profite de la voix de Callas pour les charmer (au lieu d'Orphée dans la légende). Mais non, même pas. Reste le beau visage de tragédienne de Callas que semble avoir effectivement retenu Pasolini. Et c'est vrai que le visage de Callas, comme celui de sa compatriote Irene Papas, est particulièrement adapté à la tragédie.
J'ai lu que Pasolini aurait voulu faire un parallèle entre Médée et Callas au sens où les deux femmes ont eu des destins analogues. Callas, née dans un milieu très modeste, a changé de monde en devenant une star à l'opéra … Mmmouais … Pas très convaincu quand même, je suis…
Intéressant le rôle du centaure Chiron joué par Laurent Terzieff, en vieux sage, qui semble parler un italien impeccable (à moins qu'il ne soit doublé, ce que je n'ai pas pu vérifier)
Quant au rôle de Jason adulte, il est dévolu à un athlète italien, champion olympique qui ne s'en sort pas si mal même si son rôle, au fond, n'est pas si important …
Les lieux de tournage : les paysages de Colchide avec l'architecture rupestre étrange sont filmés en Capaddoce et les murailles de Corinthe sont filmés à Alep (en Syrie)
En conclusion, la "Médée" de Pasolini est un film beau visuellement où le cinéaste profite du mythe pour introduire ses idées conceptuelles sur l'homme ou peut-être même ses idées sur la confrontation entre tiers monde et Occident.
Intéressant mais pas passionnant car volontiers obscur Sauf peut-être à le voir en le décortiquant sur la base des écrits de Pasolini. Mais, je crains, ainsi, qu'on ne fasse que s'éloigner du mythe et de la beauté de Médée…
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Créée
le 29 mai 2023
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