Dans les années 70 aux Etats-Unis des films de conspiration politique mis en scène par des cinéastes de qualité comme Sydney Pollack ou Alan J. Pakula déferlèrent sur les écrans. Faisant suite à l’assassinat de JFK, ils révélèrent un état d’esprit de l’époque, initié par l’imbroglio et les interrogations qui suivirent le meurtre du président. Klute, A Cause d’un Assassinat, Les 3 Jours du Condor, autant d’intrigues mettant en exergue les possibilités d’une menace invisible pesant sur toutes personnes un peu trop curieuse désirant faire la lumière sur des affaires mettant en cause les hautes sphères d’un pouvoir corrompu. Ayant toujours été une sorte de fer de lance des cinématographies mondiales en lançant des tendances, le cinéma américain inspira cette fois-ci le réalisateur français Georges Lautner et l’une des deux stars hexagonales de l’époque, Alain Delon. L’autre étant notre Bébel national.
Ayant déjà à son actif plusieurs polar, dont un début de carrière intéressant avec des films nerveux et tendus comme Marche Ou Crève et Le Septième Juré avec Bernard Blier, ainsi que ses célèbres hits comme Les Tontons Flingueurs et Ne Nous Fâchons Pas, dans un registre beaucoup plus léger, Georges Lautner adapte une nouvelle du romancier, dialoguiste et journaliste Jean Laborde, auteur de quelques œuvres dont le cinéma s'est abreuvé, comme Adieu Poulet ou Les Assassins de L’ordre, un Carné tardif.
Avec Michel Audiard au dialogue, il rassemble un casting féminin de tout premier ordre : de Mireille Darc qui fait de la figuration dans ce film, à la sublimissime Ornella Muti, ce regard !... ah ces actrices italiennes…, ainsi que Stéphane Audran. On a envie de dire que c'est un minimum pour les beaux yeux de la star ténébreuse française. Le casting masculin n’est pas en reste, Maurice Ronet, Michel Aumont, Jean Bouise, Daniel Ceccaldi que je trouve excellent dans ce film, Julien Guiomar, et même le génial acteur psychopathe allemand Klaus Kinski qui vient faire une purge.
Tout ce beau monde s’acclimate assez bien à l’ombre pesante Delon, et Lautner parvient assez efficacement à maitriser la bête qui n’en fait pas trop dan le registre du beau ténébreux qui va casser la baraque. Nerveux et assez rythmé, si l’on fait abstraction des quelques instants où la star nous fait son beau gosse en mode dragueur, le film bénéficie d’un budget conséquent et ça se ressent à l’écran. Nous gratifiant de quelques scènes de cascades réglées par Rémy Julienne, le spécialiste français en la matière, on a même droit à une scène de poursuite en camion, le film est plutôt bien mis en scène et nous réserve quelques retournements de situation. Même s’il demeure assez conventionnel dans le paysage cinématographique de genre de l’époque, le film bénéficie d’atouts intéressants, dont une scène de meurtre à la main gantée de cuir noir, faisant référence au giallo.
Les magouilles des hautes sphères étant, c’est bien connu, une pure légende urbaine… l’ère Giscardo-Mitterando-Chiraquienne nous le prouvera… et la suite confortera cette idée que nos élites savent montrer patte blanche… le film prend une connotation que l’on définira comme fantaisiste ou intéressante, selon ses croyances hein.
Même si certaines scories et ruptures de ton pas toujours bien équilibrées, où Alain Delon ne peut s’empêcher de faire sa petite performance perso, viennent parfois entacher l’ouvrage, on a droit à un polar nerveux, adroitement mis en scène et injustement déconsidéré par une certaine critique qui s’est toujours fait un plaisir de dénigrer le cinéma dit de "divertissement" d'un Lautner - tout ça initié bien entendu par une certaine vague parricide et donneuse de leçon - dont les polars n’atteignent certes pas le niveau de ceux d’un Jean-Pierre Melville, bien entendu, mais quels films policiers français peuvent se targuer de talonner Melville… ?, mais ont toujours respecté un juste dosage entre une action maitrisée et des scènes dialoguées par le master en la matière, avec notamment cette excellente passade magnifiquement dite par le non moins excellent Michel Aumont : « Les salauds m’emmerdent, Maréchal. Ils gangrènent ce pays. Les combinards d’aujourd’hui occupent le temple, dirigent les journaux, subventionnent les campagnes électorales, font élire ceux qui ensuite leurs distribueront les marchés, leur accordant tous les passe-droits. Ils forment une nouvelle élite. Leurs descendants constitueront l’aristocratie de demain. Nous allons vers l’époque du voyou de droit divin. » … quel conspirationniste cet Audiard...