Comme beaucoup de connaissances cinéphiles qui avaient fait de Wong Kar-wai leur Dieu au cours de la seconde moitié des années 1990, j'ai trouvé My Blueberry Nights navrant à sa découverte. A l'époque, j'y voyais un film où Wong Kar-wai avait tenté de retrouver (en vain) la légèreté de ce Chungking Express tourné en quatrième vitesse en pleine interruption d'un tournage fleuve d'un autre film (Les Cendres du Temps). Je voyais même dans la présence de Norah Jones un symbole du ratage du film. Une chanteuse sino-hongkongaise trendy (Faye Wong) transformée en actrice et c'était magique. Une chanteuse US trendy transformée en actrice (Norah Jones) et puis... non. Mais j'ai finalement trouvé du côté du site mentionné un indice du problème central du film: Wong avait conçu au départ le projet comme un film newyorkais... avant de le transformer en road movie pour des raisons de coût. Quand bien même Ho Po-wing et Lai Yiu-fai prenaient la voiture pour se rendre aux chutes d'Iguazù, il s'agit d'un genre antiwongien par excellence. La base de son cinéma se situe dans une forme de théâtralité, dans des allers-retours et des chassés croisés à travers un nombre limité de lieux. Regarder un grand Wong Kar-wai, c'est souvent s'immerger dans un quartier, dans ses lieux. Lors de la présentation d'une copie 70mm de Once Upon a Time… in Hollywood à la Cinémathèque, Jean-François Rauger déclarait que ses films préférés étaient ceux dans lesquels il avait envie d'élire résidence. Voilà qui décrit parfaitement les meilleurs films du Hongkongais. Du coup, que Natalie Portman n'ait pas le glamour naturel des stars hollywoodiennes de l'ère classique d'une Brigitte Lin ou une Maggie Cheung, que Jude Law n'ait pas le magnétisme animal d'un Andy Lau ou d'un Tony Leung Chiu-wai... Tout cela peut chagriner le fan hardcore du cinéaste mais n'est aucunement central dans le ratage du film.