National Gallery par Garrincha
Combler la béance du temps qui passe : voilà l'ambitieux et chimérique projet au cœur de National Gallery, qui habite administrateurs, restaurateurs, guides du célèbre musée londonien, et qui innerve la proposition cinématographique même de Frederick Wiseman.
La problématique posée à l'illustre institution culturelle est, de fait, annoncée d'emblée par le film : comment s'inscrire dans le présent et continuer à entretenir un dialogue, à la fois accessible et exigeant, avec son public ? Les éléments de réponses sont de nature diverse : accepter, par exemple, d'intégrer le musée dans la ronde capitaliste et de passer par des coupes budgétaires, afin de répondre à la réalité la plus pressante, concrète, brutale. Mais, et c'est ce qui intéresse le plus Wiseman, le National Gallery évolue également dans une autre temporalité, celle qui est hantée par les maîtres des siècles révolus, et à qui le musée s'évertue de redonner la parole. En faisant chanter la matière et l'essence des tableaux légués et leur faire raconter toutes les histoires qu'elles renferment, toutes celles que leurs auteurs ont eu la grâce de produire et de partager avec le monde, l'expertise et la passion de ces historiens de l'art participent à la survivance du génie humain tissée au fil du temps, à conjurer l'éphémérité des choses pour les rendre immortelles, leur faire traverser les âges pour investir l'instant présent, et ce pour l'éternité.
Considérations qui ne sont bien entendu pas tout à fait étrangères au travail de Wiseman, ce grand cinéaste du réel et de sa mise à nu, et qui trouve sans doute ici un des plus beaux sujets de sa longue filmographie.