Disons-le tout de suite : ça fait plus d'un an que j'attends ce film.
Rémi Bezançon, c'est mon Balzac du cinéma à moi. Sauf qu'à défaut de retrouver les mêmes personnages d'une comédie humaine klapischienne, on croise les mêmes acteurs que par le passé, ce Yann Kerbec aux mille vies... Car chez ce réalisateur le "Xavier" de Klapisch, c'est Rémi Bezançon lui-même, qui au gré de ses films greffe dans ses personnages ses perceptions et questionnements du moment, de la période de sa vie.
Qu'on aime ou pas, ce qui reste assez à part chez lui, c'est qu'à chacun de ses films on entend "Ca sent le vécu", même quand il raconte les états d'âmes d'une femme enceinte.
Alors donnez-moi pour thème «la crise de la quarantaine » en me demandant un réalisateur pour le traiter, je n'aurais préféré personne d'autre à Bezançon. Car ce que j'aime chez lui c'est qu'il va chercher son inspiration au fond de lui-même, quitte à ce que ses ressentis ne soient que tacitement suggérés dans une forme élégante; ce qu'il en ressort a souvent un côté fleurs puantes, beau et triste. En fait je pense que ça arrive simplement parce que c'est un gars bien et qu'il se pose en observateur sans s'épargner dans la préparation de ses films. C'est un cinéma de confrontation mais un cinéma à froid, la relève de Jean Becker en y apposant un petit rôle de Voleur de Feu.
Il faut dire aussi qu'il ne cesse de progresser : il y a du chemin depuis son premier « Ma Vie en l'Air », ses films gardent la même sincérité mais ont de moins en moins de lacunes, et en plus avec ce « Nos Futurs », il se permet même de prendre des risques ! Bon, c'est pas non plus Kassovitz, mais il faut saluer le geste. Et que ce soit un peu fouillis, un peu maladroit par moment c'est pas grave, parce que cette petite audace accumulée à cette Rémi's Touch éclate quand même 90% de notre cinéma national, de notre cercle très privé des petits cinéastes bobos du Tout-Paris, de la bande à Kechiche et ses nymphos qui se paluchent entre eux au festival de Cannes.
Pour ceux qui n'aiment pas spécialement l'auteur, sachez que ce « Nos Futurs » c'est du Bezançon pur jus, avec tous ses thèmes habituels traités, ou au moins esquissés : le père absent, les souvenirs de jeunesse, le changement de regard, la nostalgie de l'adolescence...
Ce n'est clairement pas un film qui va plaire à tout le monde, et je pense même qu'on ne sera pas tant que ça à l'apprécier : ce genre de film nous parle ou ne nous parle pas suivant la sensibilité de chacun. Il privilégie les impressions, la madeleine de Proust en posant des situations comme soutient plutôt que l'inverse.
Parce que la putain de madeleine de Proust, je comprend qu'on n'en ait rien à foutre .
Voir un buddy-movie comme celui-là sans s'en imprégner, c'est au final aller voir un film qu'on a l'impression d'avoir vu cent fois. Ce genre est devenu un cliché qui moi aussi m'énerve au plus haut point et donne, dans quelque film que ce soit, l'envie de crier à l'escroquerie. Mais quand on sort de ce film après avoir compris ce qu'était cette relation, on se dit que rarement ce genre ne s'est autant prêté à l'idée que veut véhiculer l'auteur : au final ce n'est pas l'idée du buddy movie et de son simple contraste passe-partout qui reste : ce n'est qu'un encrage pour le vrai thème du film qui ne se révèle entièrement qu'à la fin.
Alors oui le film a des défauts, à commencer par son humour toujours un peu moyen, et son personnage principal qui aurait pu être encore plus fort avec un vrai acteur introspectif. Pierre Rochefort fait le taf, mais un bon vieux Edouard Baer ou Elmosnino auraient pu faire exploser ce personnage à l'écran. Mais bon, le fils Rochefort doit être un pote à lui. Et il y a bien d'autre petits soucis ici et là qui globalement ne valent pas le coup qu'on s'y penche.
Il sont assez dérisoires car le plus important est là : ce n'est pas ce que l'on appelle communément « un film sans prétention », c'est à dire un film sans que l'auteur se donne lui-même et se raconte, et de fait ne raconte rien. Faire un bon film, que ça soit une comédie dramatique ou un blockbuster de Nolan, c'est souvent faire une bonne autopsychanalyse. Comme disait René Char :
« Mais rien de ce qui m'a vu vivre et agir jusqu'ici n'est témoin alentour. Mon épaule peut bien sommeiller, ma jeunesse accourir. C'est de cela seul qu'il faut tirer richesse immédiate et opérante. » Et oui, René disait pas que des conneries.
Rémi Bezançon voulait à la base faire un film plus léger; je le préfère comme ça, quand il se sonde même dans ce qui le secoue, pour trouver du nouveau.
Alors qu'il continue et laisse la légèreté à ceux qui n'ont que ça à apporter au cinéma.