L’un des points forts indiscutables de cette adaptation est son esthétique réussie.
L’ambiance gothique et sombre qui caractérise l’original de F.W. Murnau est parfaitement restituée. Les jeux de clair-obscur, les décors lugubres et les costumes d’époque nous plongent dans une immersion totale. Chaque plan semble minutieusement pensé pour transporter le spectateur dans une Europe du XIXe siècle, hantée par des forces obscures. Sur ce plan, le film ne déçoit pas : il capte l’essence de l’expressionnisme allemand du film de 1922, tout en l’adaptant à une sensibilité contemporaine.
Cependant, là où le bât blesse, c’est dans le traitement de l’érotisme, qui sature le récit au point de frôler la caricature. L’érotisation d’Ellen, jouée par Lily-Rose Depp, dépasse souvent ce qui pourrait être considéré comme "narrativement justifié".
L’idée d’un lien entre désir, vampirisme, possession et sacrifice, est inhérente au mythe de Dracula, en revanche, cette adaptation tombe dans l'excès, ce qui rend certaines scènes grotesques... (notamment les scènes où Ellen est possédée ou en transe).
Si l’Ellen du Nosferatu de 1922 était une héroïne silencieuse dont le sacrifice servait de dénouement, celle de 2024 est une femme dotée d’une intériorité profonde et tragique.
Elle n'est pas qu'une victime sacrificielle : c'est une figure centrale, dont la complexité et les luttes intérieures imprègnent tout le récit.
Dès le début, Ellen est définie par son isolement émotionnel et l'incompréhension de son entourage. En tant qu’épouse dévouée et incarnation de la vertu, elle représente l’idéal victorien de la femme pure. Mais ses préoccupations sont systématiquement minimisées : elle est considérée comme "mélancolique", terme qui renvoie aux théories médicales du XIXe siècle, où les femmes étaient renvoyées à leur "hystérie".
L'emprise dont Ellen fait l'objet trouve une illustration cruelle dans la scène, où, l’ombre du comte Orlok s’approche lentement d'elle, sa main s’étendant sur son corps comme un spectre, marquant l'invasion de son corps et de son esprit.
Orlok, en tant qu’étranger venu des Carpates, incarne une menace qui dépasse le cadre du vampirisme. Il est une figure de l’intrusion, non seulement physique, mais aussi culturelle. Il est l’incarnation de la peur de l’invasion : à l'arrivée d'Orlok, les rats envahissent la ville, et la peste décime la population.
Orlok représente l’Autre ; le monde extérieur menaçant, qui arrive à ses fins par la possession du corps et de l’esprit féminin.
Loin d’être un simple monstre sanguinaire, Orlok rappelle la peur irrationnelle de l'envahisseur, perçu comme porteur de la maladie. Une peur nourrie par les épidémies et les préjugés racistes, qui désignent l’étranger, comme un envahisseur détruisant l’espace sacré de la société bourgeoise.
En définitive, Nosferatu est une œuvre qui ne manque pas d’ambition, mais dont l’exécution souffre de choix discutables. Si l’on peut saluer l’effort esthétique et la profondeur accordée à certains thèmes, le film s’égare dans l’exhibition excessive, et échoue à pleinement convaincre, tiraillé entre un respect des codes du genre et des choix stylistiques qui finissent par briser l’immersion.