Avec Nosferatu, Robert Eggers orchestre une relecture magistrale du chef-d'oeuvre de Murnau, alliant fidélité respectueuse à l'original et profondeur contemporaine qui réinvente le mythe vampirique.
Fidèle à son esthétique singulière (inspirée du gothique et des peintres flamands) et à son obsession pour le détail historique et religieux, Eggers fait du conte de Murnau une réflexion moderne sur le pouvoir, le désir et la fatalité. Le comte Orlok, loin d'être un simple monstre en soif de sang, devient une figure allégorique de l'exploitation des vulnérables : un prédateur économique, sexuel et spirituel, il incarne les mécanismes oppressifs de son époque tout en résonnant avec les angoisses contemporaines.
Ici, les dynamiques de pouvoir y sont examinées : Orlok ne se contente pas de boire le sang de ses victimes, il sature leur existence, il opprime, exploitant leurs failles et leurs désirs refoulés. Ellen, réécrite en héroïne active et tragique, est à la fois séductrice et martyre, prête à défier l’obscurité pour sauver ce qui reste d’humanité.
Visuellement, Eggers reprend le cadre oppressant et les compositions asymétriques de l'expressionnisme allemand tout en leur insufflant une physicalité palpable. Les textures dominent l’image : le bois usé des intérieurs, la pierre froide des cryptes et la peau diaphane et grotesque du comte se font les vecteurs d’une matérialité qui ancre le surnaturel dans le tangible.
Eggers amplifie l'utilisation des ombres. Chaque ombre projetée sur le cadre crée un environnement où la terreur envahit la psyché des personnages.
Eggers ne s’arrête pas à la forme. La bande sonore amplifie cette immersion avec des murmures, des grincements, des ingérations et des silences qui semblent surgir d’un autre monde.
Mais derrière cette maîtrise technique se cache une ambition thématique : faire du mythe de Nosferatu un commentaire de son temps à travers des maux passés. Le vampirisme devient ici une allégorie, celle d’un mal omniprésent qui traverse les siècles, qu’il s’agisse de la peste, des inégalités ou des pulsions destructrices du désir.
Dans cette relecture, Eggers tisse une œuvre à la fois aussi viscérale que réflexive, il redonne au mythe de Nosferatu toute sa puissance originelle. Une œuvre d’une densité rare, porté par des comédiens exceptionnels, où la beauté esthétique côtoie les recoins les plus sombres de l’âme humaine.