J'avais peur, je ne m'en cache pas.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'avais décidé, dans un premier temps, de rebrousser chemin.
Mais on ne résiste pas longtemps à l'appel lointain d'un formaliste comme Robert Eggers. J'ai voulu m'y risquer malgré tout.
Eh bien j'aurais dû davantage m'écouter.
La seule scène d'introduction résume tout. La jeune Ellen murmure dans sa chambre nocturne. Une présence finit par lui répondre ; une ombre avec qui elle décide de sceller un pacte. Tout est là. Les qualités formelles évidentes, comme cette photographie lugubre ou ces jeux d'ombre dans les rideaux, mais aussi les évidentes limites : le jeu peu inspiré de l'actrice ; la conclusion grossière où tous les curseurs sont brusquement poussés à leurs paroxysmes ; l'éradication soudaine de toute ambiguïté et surtout cette terrible impression d'avoir déjà vu ça ailleurs mais en mieux.
En vrai, je pourrais m'arrêter là tant c'est un peu tout ça, Nosferatu.
Alors oui, il y a toujours dans ce film, à un moment ou à un autre, une bonne idée qui fait qu'on a envie de lui donner sa chance à ce Robert Eggers. Pour ma part, je pense notamment à cette première traversée dans Winsburg que je trouve sobre mais terriblement efficace pour poser son espace et son temps. Même chose pour cette marche à travers la forêt brumeuse de Transylvanie qui se conclut par cette arrivée très perturbante pour les sens d'un lugubre attelage.
Mais que pèsent ces moments à côté de tout le reste ? Pourquoi je ne crois à aucun rire dans ce film ? Pourquoi j'ai eu envie de pouffer en voyant les Tziganes entourer Thomas à son arrivée à l'auberge ? Et surtout pourquoi tous ces soupirs ?
Bah ouais, c'est terrible mais en fait, j'ai passé mon temps à soupirer lors de ce film. Tout dans ce film rappelle le Dracula de Coppola en moins bien et ça, c'est dans le meilleur des cas. Parce qu'on ne va pas se mentir, la plupart du temps, l'élégance formelle peine à masquer de terribles relents de série B. Surtout qu'en plus de ça, la moitié du casting joue mal. Lily-Rose Depp, quelle horreur. Désolé pour elle, mais jamais je n'y ai cru. Thomas Hoult, ce n'est guère plus brillant. Ça passe à peu près au départ, mais sitôt rentre-t-il dans l'antre du démon qu'il se « shelleyduvallise » très vite. Quant à Simon McBurney, il dévisse rapidement et chacune de ses nouvelles apparition à l'écran est un palier supplémentaire de franchi dans la gênance.
En ce qui me concerne, seul Ralph Ineson a su faire illusion. Même Willem Dafoe en est réduit à reproduire une caricature de ses derniers rôles de vieux loufoque et, franchement, dans un film comme celui-là, c'est désespérant.
De toute manière, un tel naufrage collectif ne peut que révéler les failles d'un capitaine visiblement en pleine déshérence. J'ai encore en tête cette scène de l'internement de Knock. L'acteur qui l'annonce passe son temps à hurler. Il ne joue pas. Il hurle.
« HE WAS EATING THE GOATS... RAAAAAW !
– Mazette, mon ami ! Mais quel est donc ce râle ?! Vous faites une attaque ?!
- Non, je disais raw... Enfin "crues", quoi.
- Ah ! Ah pardon, parce que moi j'avais entendu "raaaooorgh"...
- Oui mais ça c'est parce que Robert me force à hurler, donc bon... »
Je n'ai même pas le cœur à en dire davantage. C'est que je n'ai pas envie de trop accabler ce film. Je ne l'ai pas aimé. Je l'ai trouvé mal inspiré, mal ficelé et globalement mal ouvragé. Et ça m'emmerde parce qu'après The Northman, je ne peux m'empêcher, en pensant à ce Nosferatu, de relier ces deux points pour en tirer une ligne. Et cette ligne, elle a une sale gueule de droite qui plonge ; une droite qui plonge d'ailleurs avec le même angle que celle qui reliait déjà The Lighthouse à The Northman.
Ça pue tout ça. Et ça me fait chier.
Déjà qu'on n'a pas beaucoup de formalistes, alors si en plus de ça ils se mettent à se comporter comme des auteurs décérébrés sans idée ni intelligence, où est-ce qu'on va ?
En tout cas, pour ma part, je crois qu'avec ce pauvre Robert, le temps est venu de prendre mes distances. Qu'on jette le cercueil à la mer, et qu'on efface de mon esprit cette triste souffrance.