Robert Eggers est l'exemple même du réalisateur dont je voudrais être fan. En effet, ses quelques belles qualités, il ne les possède pas qu'à moitié. C'est un technicien incroyablement brillant. Il sait magistralement mettre en scène un cadre. Bref, sur les plans de la photographie, des décors, des costumes, du montage, il est très fort. Aujourd'hui, il n'y a pas meilleur que lui pour rendre l'atmosphère d'une époque réaliste et palpable. Mais, sur la base que je n'ai pas encore visionné The Lighthouse, qu'est-ce que c'est un mauvais scénariste. Il sait mettre en images des histoires, mais il ne sait pas du tout les raconter.
Déjà (et c'est le plus important, donc le plus préjudiciable !), il n'y a aucune construction ou évolution de personnages. Sur ce plan, l'œuvre est catastrophique. Je n'exagère pas. En ce qui concerne l'homme et la femme du jeune couple charmant (à peu près l'équivalent de Jonathan et de Mina !), le scénario ne prend jamais vraiment le temps d'aborder leurs relations, ce qui les lie émotionnellement, pour que le spectateur puisse s'y attacher et être horrifié par ce qui leur arrive. La meuf se contente d'être en transe ou d'être possédée toutes les cinq secondes... voilà... Un moment (je reste vague pour ne pas spoiler !), elle perd des êtres qui devraient lui être particulièrement chers. Elle est en mode "oh ouais, quand même, il peut être temps que je réagisse !", mais avec autant d'émotion qu'une personne lambda qui se rend compte que ses carreaux sont un peu sales et qu'il serait temps de les nettoyer. Le mec, quant à lui, se contente de divaguer durant tout le long-métrage, sans rien faire avancer dans l'intrigue. Pareil pour le Van Helsing du film (oui, je sais, il a un autre nom !), joué par Willem Dafoe, pour la 100ᵉ fois, dans le même registre du vieux type un peu barré sur les bords, personnage dont le seul acte qu'il entreprend réellement est celui d'adopter un chat... euh ouais, je ne déconne même pas... Il branle que dalle autrement... Ah oui, aussi (je reste encore vague pour ne spoiler !), il y a quelqu'un qui connait une tragédie familiale d'ampleur et atroce à donf, et les autres, qui s'en ballec puissance 10000, c'est à peine s'ils ne lui disent pas "ouais, mais c'est bon, remettez-vous quand même !".
Ensuite, le Nosferatu du film n'a pas le moindre soupçon de charisme. Alors, je suis conscient que dans le Dracula de Bram Stoker, notre vampire en a une, mais ce qui passe sur le papier ne passe pas forcément sur la pellicule... enfin, bref, qu'est-ce que c'est que cette putain de moustache ? Je suis désolé, mais quelqu'un qui me rappelle le docteur Robotnik dans Sonic ne peut pas me faire flipper. Et en plus, ça lui prend dix plombes pour débiter la moindre réplique, tellement que ça vous donne plus envie d'aller au pieu qu'autre chose. Je n'ai rien contre Bill Skarsgård, mais son incarnation du suceur de sang fait très pâle figure à côté de celle de Klaus Kinski (qui n'a même pas besoin du moindre maquillage pour faire peur !) et, surtout, de celle, absolument inoubliable, de Max Schreck (103 ans au compteur et elle a toujours toutes ses dents !).
Sinon, on peut s'évader d'un asile en moins d'une minute top chrono fastoche. Visiblement, il n'y a pas de barreaux, de portes ou de gardiens pour faire obstacle à votre évasion. On peut aussi trouver une information dans un bouquin de plusieurs centaines de pages, uniquement en ouvrant et en tournant deux-trois pages par hasard, sur quelques secondes... voilà, super...
Ah ouais, si la plupart des acteurs font ce qu'ils peuvent avec la médiocrité qui leur est fournie, Lily-Rose Depp est nulle à chier dans son rôle. Ce n'est pas du tout pour ses qualités d'actrice, complètement inexistantes, qu'elle a été choisie. Je suis désolé, mais non, vous ne me ferez pas croire le contraire (quel dommage qu'Anya Taylor-Joy était indisponible !). Le talent n'est pas infailliblement héréditaire. Et comme son personnage est le plus important de l'ensemble, ben, ça rend encore plus le tout médiocre, alors qu'il n'avait pas du tout besoin de cela en supplément pour l'être.
Et pour finir, ce qui fait la force de la plupart des adaptations de Dracula, y compris, bien sûr, le Nosferatu de Murnau, c'était, en bonne partie, l'implicite, la suggestion, le non-dit. Là, c'est trop mis en avant que le motif principal et ultime des actions néfastes de l'antagoniste, c'est de tirer son coup, tout en s'enfilant quelques litres d'hémoglobine. Ce qui achève de ridiculiser entièrement cet énorme ratage et cette énorme déception. Autant de potentiel gâché, autant de grandes qualités formelles pour servir une écriture pitoyable, c'est un crève-cœur.