Au fond tout ce qu’est ce film tient en son premier plan.
Oui, le premier.
Il ne s’agit même pas d’une image, mais plutôt d’un carton ; un carton qui – de mémoire – dit la chose suivante : « Bien qu’il s’inspire de faits réels, ce film est une fiction. Il n’a aucune intention à produire une appréciation des faits relatés ».
Voilà.
Tout est dit.
Est dit d’abord toute la complexité de la filiation qui lie ce Novembre à BAC Nord, sorti l’année précédente. Que le réalisateur, la boîte de prod’ et le diffuseur soient les mêmes ne relèveraient d’ailleurs presque ici que du détail tant ce qui ressort davantage de ce carton ce sont les stigmates de la polémique du Festival de Cannes.
Aussi ce Novembre prend-il cette fois-ci les devants : non, il n’y aura dans ce film aucune intention à fournir une appréciation.
Soit.
Pourquoi pas.
…Mais dans ce cas c’était quoi l’ambition ?
Parce qu’on s’entende bien : « apprécier », au sens littéral du terme, c’est un travail d’ « estimation d’un phénomène perçu par les sens », voire « l’estimation approximative d’un phénomène mesurable ou chiffrable » nous dit le Centre national de ressources textuelles et lexicales. Donc à quoi bon se saisir d’un événement aussi vif, tragique et sensationnel que les attentats de novembre 2015 si derrière c’est juste pour se refuser de l’évaluer, de le questionner par les sens, de mesurer sa nature et son impact ?
Franchement, à quoi bon ?
Alors j’en imagine déjà certaines et certains me reprocher de vouloir jouer avec les mots ; préparant déjà leur commentaire pour signifier que ce n’était certainement pas ainsi que Jimenez entendait exprimer son intention… Peut-être bien.
Il n’empêche que le cinéma n’en reste pas moins un art d’appréciation. Car une mise en image n’est jamais neutre. Les choix de cadre, d’intrigue, de dialogues, de photo, de musique ou de rythme sont autant de partis-pris qui posent un regard particulier sur le sujet traité ; un regard d’auteur.
Et si moi je peux encore bien entendre que j’ai peut-être mal interprété le propos de ce carton d’introduction, il n’empêche que – quand je regarde le Novembre que Jimenez nous a offert – tout ce film confirme pourtant cette étrange note d’intention : je n’y ai retrouvé aucune forme d’appréciation quelle qu’elle soit.
Alors après, certes, sur un sujet aussi vif et scabreux, il y avait des grossièretés qu’il fallait savoir éviter, ce qu’a su faire Jimenez avec ce film.
Il a su notamment éviter de tomber dans les sensibleries bon-marché opposant d’un côté le paradis d’avant et de l’autre l’enfer d’après, ne reproduisant donc pas l’horreur que fut le World Trade Center d’Oliver Stone.
Pour le coup Jimenez est davantage parti sur une approche plus proche de celle d’un Paul Greengrass sur son Vol 93, c’est-à-dire qu’il a préféré appréhender l’événement non pour ce qu’il a été mais plutôt tel qu’il a été perçu de l’extérieur, ce qui permet en conséquence d’évacuer habilement la question de la représentation visuelle de l’attentat. Un bon point donc…
Idem, l’autre piège était celui du sensationnalisme outrancier ; dressant l’ennemi comme l’incarnation même du malin ; comme un mal absolu à cause duquel on ne pourra jamais respirer tant qu’il sera présent sur Terre. C’était notamment sur ce point que BAC Nord s’était pris les deux pieds dans le tapis mais donc là, force est de constater qu’on n’y reprendra pas Jimenez à deux fois.
Je dois même d’ailleurs reconnaitre que Novembre a su me surprendre sur cet aspect-là de son intrigue. Sachant développer de l’ambiguïté dans les « deux camps », le film y gagne en subtilité et en épaisseur même si, au bout du compte, le résultat reste malgré tout bien maigre.
Car au fond, qu’est-ce que Novembre entend nous proposer comme regard ?
Qu’est-ce qu’il entend dire ou montrer ?
Au fond rien de plus ni rien de moins qu’un thriller émaillé de quelques phases d’assaut. Du banal spectacle à sensation en fin de comptes. Et pour ce faire Jimenez ne fait que nous ressortir à nouveau sa formule habituelle : il produit des tonnes de plans pour une même séquence ; plans qu’il filme au poing au petit bonheur la chance et ensuite il additionne le tout afin d’avoir un montage très dense et très riche.
Alors certes le résultat est très dense et très riche, mais il est aussi passablement moche, peu lisible et finalement assez creux. Ça créé juste artificiellement de la tension et rien de plus.
C’est même d’ailleurs tellement artificiel qu’il a suffi d’un incident pendant ma projection pour me rendre compte à quel point l’image ne servait à rien dans ce film.
Histoire vraie : au bout d’une demi-heure de projection l’image s’est brusquement coupée dans la salle mais la bande-son a poursuivi.
Il a d’abord fallu deux minutes au public pour comprendre que ce n’était pas un choix de réalisation puis, le temps de prévenir le personnel et de régler le problème, le film a bien continué à être projeté ainsi – sans image avec le son – pendant un bon quart d’heure…
Bilan : j’ai suivi durant tout ce temps le déroulement de l’intrigue sans souci ni ennui. Tout était décrit. Tout était dit. Ce n’était que du dialogue ou bien de l’assaut se résumant à du « Boom ! – Police ! – A terre ! A terre ! – Là-haut sur le toit – J’y vais ! Il est là ! Pas un geste ! Mains sur la tête ! Mains sur la tête ! Abu Rondoudou c’est bien vous ?! – Abu Rondoudou ! – Oui c’est bien lui on l’embarque… »
L’équipe du cinéma a ensuite coupé la projection et l’a remise à partir du moment où l’image avait sauté. L’expérience fut pour le moins saisissante. L’image n’apporta rien de plus par rapport au premier visionnage.
C’est triste, mais ça aussi ça dit quand même quelque-chose…
Alors après, soit, on peut encore sauver quelques moments…
…Notamment quand Inès prend des risques, se fait recadrer, puis se fait plus ou moins trahir par sa hiérarchie…
…Mais, dans l’ensemble, tout ce film fait un peu « épisode d’ Engrenages du pauvre », et Engrenages – en soi – ce n’est franchement pas terrible niveau cinoche.
Surtout que – Jimenez restant Jimenez – sa mise-en-scène se met quand-même très vite à tourner en rond. Au bout d’un moment, les scènes d’interventions du RAID virent presque au comique. La dernière du genre est même assez ridicule tant elle sombre dans la surenchère superfétatoire.
Comme quoi, au bout du compte, l’annonce faite en début de film n’avait rien de mensongère : je suis bien ressorti de ce film en m’interrogeant d’un énorme « à quoi bon ? »
A quoi bon avoir voulu se saisir d’un tel événement si c’est pour en faire un thriller lambda qui ne dit pas grand-chose de l’événement en lui-même ?
Ce film aurait pu parler d’un attentat imaginaire que ça aurait été pareil. Et d’ailleurs on serait en droit de se demander comment on aurait perçu un film évoquant de la même manière un attentat étranger ?
Personnellement je pense que tout le monde aurait trouvé ça banal, insignifiant, creux.
Eh bien il se trouve que c’est justement ainsi que j’ai perçu ce Novembre : banal. Insignifiant. Creux.
…Et c’est triste mais pour en être à mon quatrième film de Cédric Jimenez je crains fort qu’il ne soit pas capable de faire plus que ça.
Du cinéma creux.
Alors oui, c’est vrai, par rapport à BAC Nord Jimenez aura au moins su arrondir ses angles afin de ne pas trop cliver. Mais justement, en arrondissant les angles, il a aussi perdu ce public qui espérait de lui qu’il sache jouer sur les affects primaires.
Peut-être était-ce d’ailleurs l’intention première de ce Novembre – qui sait – mais la polémique du dernier Festival de Cannes dernier a dû modérer entre temps les ardeurs de l’auteur, si bien qu’au final on se retrouve avec un film davantage nu. Or là, à froid, les illusions trompent forcément moins de personnes.
Pour ma part c’est donc tout ce que je retiendrai de ce Novembre…
Rien.
Rien parce qu’il n’avait rien à dire.
Rien parce qu’il n’y avait rien que ce film ne cherche à apprécier.
Rien parce que, tout simplement, ce film n’avait rien pour qu’on l’apprécie…
Comme quoi, dès le premier carton, tout était déjà dit.