That was visual, lance Eve à Adam, à un moment précis d'Only lovers left alive - et je pense que cette simple assertion suffirait presque à résumer ce film, qui puise essentiellement son intensité dans son esthétique, sa photographie et la beauté de sa mise en scène.


N'ayant jamais rien vu de Jim Jarmusch auparavant, je ne saurais juger si ce film est (ou non) dans la continuité de ce qu'il a fait jusque là. Je sais seulement que le charme hypnotique de cette romance élégiaque a totalement opéré sur mon petit cœur sensible. Le synopsis ne m'attirait pourtant guère - peu réceptive que je suis aux thématiques vampiresques - mais la présence de Tilda Swinton, une actrice que je révère, a fini par me convaincre de me laisser tenter.


Il faut bien sûr accepter une certaine lenteur, une certaine langueur qui enveloppent l'ensemble de l'oeuvre, toutes deux renforcées par la bande-son absolument ensorcelante de ce drame romantique qui apparaît à plus d'un titre comme une véritable déclaration d'amour au cinéma, mais peut-être encore plus à la musique. L'une des scènes qui me restera est celle du concert dans le café tangérois et cette chanteuse des mille et une nuits...


Adam et Eve sont deux (beaux) vampires amoureux, l'un vit à Detroit, l'autre à Tanger, ils s'approvisionnent sous le manteau, comme ils le peuvent, d'hémoglobine fraîche, elle errant dans les ruelles désertes de la ville marocaine (ô ces plans de Tilda marchant lentement, fantomatique, sur des airs orientaux...), lui se fournissant auprès d'un médecin qui le ravitaille en O négatif, que les vampires dégustent ensuite tel un divin nectar.


Ils passent leur éternité à écouter ou composer de la musique (la bande-originale est grandiose), à danser, à rouler (de nuit, évidemment) dans les rues désolées, dans une atmosphère de fin du monde à la splendeur misérable, et à jouer aux échecs en évoquant les illustres amis qu'ils ont croisés au cours des siècles et dont on aperçoit les portraits sur les murs de leur appartement (parmi lesquels on reconnaîtra Baudelaire, Poe, Kafka, Shakespeare...).


L'humour et l'ironie figurent également au casting de ce film, qui tourne en dérision en le modernisant l'univers des suceurs de sang (les glaces dont ils se délectent, certaines répliques, et la présence de Mia Wasikowska en sont autant de signes).


A voir ce couple punk-rock, la blonde platine et le noir corbeau nocturnement enlacés, leurs yeux cachés derrière des Ray-Ban, je n'ai pas pu m'empêcher de me dire que ce film était décidément, résolument stylé... Le genre de film que Flaubert aurait sans doute aimé, lui qui désirait une oeuvre qui tienne uniquement par son style. Le genre de film, aussi, qui nous réapprend à contempler, à accepter la durée, la lenteur et un certain ennui, pour se laisser simplement absorber par la poésie des scènes, la merveille des plans qu'on dirait par moments surgis de tableaux de maîtres.


Une fois n'est pas coutume, acceptons de laisser primer la forme sur le fond, c'est fait avec tant de grâce... Fond qui n'est toutefois ni vide ni absent, puisqu'Only lovers left alive nous parle bien évidemment d'amour et de temps (ah, la photo de mariage du couple en 1868...), de voyage, d'immortalité et de finitude, d'horizon qui pourrait se fermer et de comment remplir l'éternité.


Une oeuvre que je qualifierais de sombrement lumineuse, qui croise les arts avec une grande élégance, émeut et inspire de la plus mélancolique manière.

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le 11 avr. 2016

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