Adapté de la biographie "Robert Oppenheimer" de Kai Bird et Martin J. Sherwin 


Un film de Christopher Nolan, c'est une aventure, un grand huit. Une plongée dans une réalité parallèle : on n'est pas seulement spectateur dans une salle obscure, on se retrouve comme en dissociation, projeté à l'intérieur du film. Invisible et animé, on progresse aux côtés des acteurs, dans leur époque qu'on semble connaître autant que la nôtre, inside, tout en demeurant assis et subjugué, 80 ans plus tard, outside. Oppenheimer, en séance de rattrapage, ne dément pas cette fulgurante expérience. Inversement proportionnelle à la durée du film : 3 heures.


La première heure et demie, entrecoupée d'images et de sons exponentiels, pulvérisés comme un magma en nous, permet de faire connaissance avec tous les protagonistes, alliés, adversaires, confidents, femme et grand amour caché, sans que l'on puisse soupçonner à aucun moment les évolutions des uns et des autres, les revers, les trahisons, les manipulations à venir. S'accrocher, ça va vite. Ensuite, place à l'action. Oppenheimer est devenu "Oppie", un prophète. On déloge les Indiens, on s'installe à Los Alamos dans le plus grand secret, on fomente le projet "Manhattan", on donne le nom de code "Trinity" au premier essai nucléaire, on cible le Japon qui refuse la reddition. Problème: il y a un espion au service de l'Union soviétique. Trop tard. On est le 6 août à Hiroshima puis le 9 août à Nagasaki. J'entends à la fois l'explosion de la première bombe A et la chanson d'Orchestral Manoeuvres in the dark : Enola Gay, tout se mélange et implose en moi.


"Je sens encore la chaleur du sang qui dégouline sur mes mains" avoue Oppenheimer au président Truman, qui le morgue : "Ce n'est pas vous qui avez déclenché cette bombe. Je l'ai fait."

Oppenheimer subit une audition de sécurité à charge, pour soupçons de déloyauté et de liens présumés avec le communisme. Les masques tombent, les révélations éclatent, la taupe est démasquée comme l'est celui qui tire les ficelles, la sincérité d'Oppenheimer avérée. C'est partial et éprouvant. Le déclin est irréversible. Même s'il est finalement jugé loyal, on lui retire son habilitation, mais Oppenheimer résiste : "Le fait est que je l'aime, ce satané pays."


Ce biopic vertigineux, Oscar du meilleur film, frappe de plein fouet chacun de nos sens. On vit dans nos chairs "le triomphe et la tragédie d'un génie" : Robert Oppenheimer, père de la physique quantique et de la bombe atomique. Qui se souviendra trop tard de la mise en garde d'Albert Einstein : "N'oubliez pas que ce ne sera pas pour vous. Ce sera pour eux." Eux : les dominants, sangsues avides de pouvoir et de gloire, qui n'hésitent pas à vampiriser l'esprit révolutionnaire du physicien, jusqu'à porter l'homme au pinacle avant de le clouer au pilori, et l'abandonner à la vindicte publique, sous couvert de maccarthysme. C'était sans compter sur la réhabilitation objective permise par la littérature et le cinéma. C'était sans avoir confiance en Kai Bird, Martin J. Sherwin et Christopher Nolan.

Une réhabilitation à nuancer : si Oppenheimer était prêt à s'en tenir à l'opération Trinity, les bombardements à Hiroshima et à Nagasaki ont provoqué 220.000 morts : 110.000 sur le coup et 110.000 des suites des radiations. 

Isabelle-K
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