Le final de « 2001 : a space odyssey » semblait annoncer une perspective grandiose pour l'humanité ; l'avènement d'une nouvelle évolution de l'Homme, voire du fameux Surhomme de Nietzsche. Mais dès sa scène d'ouverture, « A clockwork orange » diverge nettement quant à sa conception de l'avenir de l'humanité. Le jeune Alex, confortablement assis dans un bar au design douteux et psychédélique, se fondant parfaitement dans le décor, boit tranquillement un lait dénaturé. Son regard, à la fois terrifiant et hypnotique, préfigure les séquences à venir ; des scènes de pure violence gratuite, sadiques et perverses à l'extrême … et pourtant terriblement jubilatoires. C'est sans doute le premier grand exploit que réussit Stanley Kubrick avec ce film ; réaliser des séquences d'une l'ampleur provocatrice inédite à l'époque, répulsives et attrayantes à la fois. Par une symbiose hallucinante entre la grandiose mise en scène et la musique divine, les combats font figures d'opéras virtuoses, l'abject devient esthétique, et les spectateurs se font complices d'Alex (l'appellation baudelairienne « Ô mes frères » n'est pas un hasard). Le Maître met brillamment en évidence qu'en chacun d'eux se trouve un voyeur, un tortionnaire ... un Alex.
Le deuxième grand exploit, c'est qu'il est parvenu à faire d'« A clockwork orange » un conte philosophique moderne aussi visionnaire qu'intemporel. Le film (comme le tout aussi génial roman d'Anthony Burgess) met déjà en scène l'inévitable montée de la délinquance juvénile, l'agonie du système carcéral ou encore l'affrontement sans fin entre une droite et une gauche aussi perfides et manipulatrices l'une que l'autre. Par ailleurs, il est l'occasion pour le cinéaste de traiter de l'éternelle question du libre-arbitre, du conditionnement de l'homme par la société qu'il a créée et, une fois de plus, du véritable visage de la nature humaine ...
Ce qu'il y a en définitive de plus fort avec cette œuvre, c'est que tout est montré avec une telle évidence et une telle puissance (de façon à ce que le spectateur lui même participe à la démonstration), que ça en devient terrifiant. Et comble de la noirceur et du pessimisme ; le Surhomme nietzschéen pour Kubrick, au-delà de toutes les valeurs, c'est peut être Alex.