C'est un exercice périlleux pour moi que de proposer une critique sur un tel monument du cinéma. J'ai aimé Orange mécanique, non pas par admiration pour Kubrick (Barry Lyndon et Full Metal Jacket m'ont par exemple moins convaincu), mais parce que ce film interroge. Certes le film peut s'expliquer, en partie, par le contexte social des années 70 en Angleterre mais il apparait rapidement qu'il dépasse largement ce cadre étriqué. Orange mécanique est à mon sens un film atemporel même si pour certains il aurait mal vieilli. Sur la forme d'abord, je trouve qu'il arrive à exprimer la violence sans forcément avoir recours à des artifices particulièrement gore ou obscène (on peut ne pas être d'accord) contrairement à certains films plus récent. Les effets visuels (effet Koulechov avec les images successives de chaos et de désolation rêvées par le héros) et sonores (La 9ème symphonie, les borborygmes...) retranscrivent parfaitement l'ambiance générale de la vie d'Alex. La musique grandiose de Beethoven est aussi maléfique puisqu'elle entretient son imaginaire et ses pratiques violentes et l'enferme dans un univers fantasmé et coupé du monde social et affectif : il ne porte guère d'intérêt à ses parents la première moitié du film, son seul ami est son serpent (animal froid et généralement dangereux dans l'imaginaire collectif), quant à ses droogies, ils ne le fréquentent et ne le respectent que par intérêt et par crainte. Bref son identité, au début du film, repose presque exclusivement sur la violence et le ressenti (émotions, désir), question non pas exclusive mais centrale dans le film.
La seconde partie du film bouleverse l'équilibre de la vie d'Alex et l'amène à s'interroger sur son existence, chose à laquelle il n'était pas habitué. Il subit après son incarcération les conséquences de ses plaisirs passés ("celui qui a vécu par le glaive périra par le glaive"), là encore Kubrick réussit à mettre en valeur la descente aux enfers d'Alex (reniement par ses parents, mort de son serpent, passage à tabac par ses anciens droogies, arrivée chez son ancienne victime). La morale dans le film est incarnée par le prêtre, un homme d'église qui défend une morale rigoriste (kantienne), dans laquelle l'individu doit lui même se contraindre pour se rapprocher de la vertu (mais seul Dieu peut apporter le salut). Ainsi le prêtre défend une morale basée sur l'éducation et la contrainte assumée et dénonce la contrainte forcée, coercitive employée par les autorités carcérales. Kubrick n'apporte pas de réponse avec la scène finale et la terminaison du cycle (retour d'Alex à la violence), se contentant de rappeler que finalement la violence est dans la nature humaine, elle est fatale même si les sociétés cherchent sans cesse à la domestiquer sans jamais pouvoir l'éteindre.
Un très beau film à mon humble avis.