Quatre ans après La Favorite, ce début d’année 2024 marque le retour toujours très attendu du cinéaste grec Yórgos Lánthimos. La découverte du synopsis de ses œuvres procure à coup sûr un doux sentiment d’excitation. Avec Pauvres créatures, l’excitation est double quand il s’agit du lauréat du lion d’or de la Mostra de Venise 2023.
Dans une spirale d’un peu plus de 2h, nous suivons l’apprentissage d’une jeune femme nouvellement née : Bella Baxter. En digne fille de son créateur, elle grandit cérébralement au milieu des oies-chiens, des poules-cochons et autres pauvres créatures…
Bella Baxter en a assez d’explorer la demeure de God, elle étouffe et se sent à l’étroit. Au risque que la haine colonise son cœur et puisque God l’a ramenée à la vie, il n’a pas d’autres choix que de la laisser partir : grandir, c’est mener ses propres expériences.
Telle une enfant, la candide Bella apprend les mots, tombe, se cogne, aime, rejette, sourit, pleure, rit.
Telle une adulte, Bella explore son corps et les corps et n’aspire qu’à jouir. L’inattendue libido débordante, exubérante et constamment à assouvir, constitue l’étonnant fil conducteur de cette diabolique fable.
Les expériences sont le théâtre d’un balai de voyages, de rencontres et de sensations : bienveillance à manipulation, euphorie à tristesse, humiliation à résignation et encore et toujours la perpétuelle jouissance.
Que nous révèle ce monde ?
Que la cruauté des hommes est sans borne (sur ce sujet, God peut témoigner à visage découvert…), que le mensonge est propre de l’homme, que l’argent gouverne le monde et que la connaissance scientifique constitue un pouvoir divin à explorer sans borne.
Le diabolique atteint son paroxysme quand pour combler son manque, le créateur façonne une nouvelle « Bella ». L’expérience s’avèrera bien décevante.
En cette époque pseudo-victorienne, l’enfermement des femmes semble de coutume. Avec Bella, l’enfermer c’est la laisser s’échapper : la demeure de God, le bateau ou encore la demeure familiale n’y feront rien. Paradoxalement, la maison close n’est finalement pas synonyme d’enfermement, serait-ce parce qu’elle est dirigée par une femme ?
Fort heureusement de ce monde cruel, Bella volontaire dans tout ce qu’elle entreprend demeure résiliente à jamais. Pour se forger l’esprit, elle explore et encaisse constamment.
Plus important que tout, au-delà des multiples rencontres et expériences, Bella se cultive et s’instruit (n’en déplaise à Duncan Wedderburn). Ainsi, de cet apprentissage grandit la confiance/conscience de soi et l’élan de rébellion pour être maître de son destin.
Que dire de ces plans larges, parfois incurvés ou en Judas de porte, qui nous laissent admirer cet univers aux décors soignés et colorés. Par jeux de contrastes (noir/blanc, couleurs), les magnifiques costumes bouffants prennent vie, sous fond de notes musicales, dansantes et stridentes.
Emma Stone étincelante et flamboyante rayonne de mille feux dans ce monde hybride moderne-baroque. Le défilé de personnages brillamment interprétés et hauts en couleurs, qui gravitent autour de Bella sont tant de visages singuliers de la nature humaine.
Film fougueux, débridé et frontal où règne une audace sans borne, Pauvres créatures demeure un objet curieux, mêlant gêne et humour grinçant. Il dresse ainsi le portrait d’une jeune femme, libre (et affranchie du devoir maternelle), bien déterminée à s’accomplir et à jouir des plaisirs de la vie. Who run the world ? Bella bien sûr, au risque d’en rendre un complètement chèvre...