Jérémy Clapin, après 𝐽’𝑎𝑖 𝑝𝑒𝑟𝑑𝑢 𝑚𝑜𝑛 𝐶𝑜𝑟𝑝𝑠, revient avec 𝑃𝑒𝑛𝑑𝑎𝑛𝑡 𝑐𝑒 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠 𝑠𝑢𝑟 𝑇𝑒𝑟𝑟𝑒, une méditation cinématographique profonde sur le deuil et la tentation irrésistible d’y échapper. Ce film hybride, mêlant avec audace animation et prises de vues réelles, s’inscrit dans une veine introspective, explorant les tréfonds de l’âme humaine avec une sensibilité rare. Il examine avec intensité le désir poignant de renouer avec ceux qui nous ont quittés, quitte à franchir des limites insoupçonnées.
Pour Elsa, incarnée avec une intensité bouleversante par Megan Northam, le vide laissé par son frère Franck, astronaute disparu trois ans plus tôt, est insondable. Malgré les hommages publics et les statues érigées en son honneur, rien ne semble combler cet abîme. Enfermée dans un quotidien morne dans la maison de retraite dirigée par sa mère, Elsa se réfugie dans des rêveries où Franck est encore là. Ces songes prennent vie à travers de sublimes interludes animés en noir et blanc, ajoutant une dimension onirique saisissante au film.
Une nuit, son désir le plus profond prend une tournure inattendue; une voix mystérieuse s’insinue dans son esprit, lui promettant des retrouvailles avec Franck à condition d’accepter un pacte moralement contestable. Elsa doit permettre à ces voix d’occuper des corps humains, les condamnant ainsi à une mort certaine. Saisie par la perspective de soulager sa douleur, Elsa consent, et le film bascule dans une fable existentielle mêlée de science-fiction, où la frontière entre réalité et fantasme s’efface.
La réalisation de Clapin déploie une maîtrise certaine. Sa mise en scène onirique et élégante nous immerge dans l’errance intérieure d’Elsa, magnifiée par la photographie froide de Robrecht Heyvaert. Les séquences animées, véritables parenthèses poétiques, ajoutent une dimension métaphorique puissante, traduisant visuellement les tourments de l’héroïne. Le réalisateur joue avec finesse sur les contrastes entre le réel et l’imaginaire, créant un vertige sensoriel reflétant l’état psychologique d’Elsa. La bande-son envoûtante de Dan Levy renforce cette immersion avec une précision remarquable.
Cependant, cette distance entre Elsa et le monde qui l’entoure, si elle confère au film une atmosphère hypnotique, constitue également sa principale faiblesse. L’envoûtement formel laisse peu de place à une exploration approfondie de la personnalité d’Elsa et de sa relation avec son frère ou tout autre personnage. Les dilemmes moraux ne semblent pas avoir d'impact sur le récit ; un récit qui s’étire trop pour ce qu'il parvient à raconter, conférant à la troisième partie un manque de souffle et de rythme.
𝑃𝑒𝑛𝑑𝑎𝑛𝑡 𝑐𝑒 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠 𝑠𝑢𝑟 𝑇𝑒𝑟𝑟𝑒 s’articule autour de la notion déchirante du deuil, offrant une perspective fantastique sur la douleur de la perte et les conséquences du refus de tourner la page. C'est le reflet de la nature insaisissable du deuil.
Malgré ses imperfections, 𝑃𝑒𝑛𝑑𝑎𝑛𝑡 𝑐𝑒 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠 𝑠𝑢𝑟 𝑇𝑒𝑟𝑟𝑒 demeure une œuvre captivante, portée par une esthétique singulière et une réelle créativité visuelle dans ses passages animés. Jérémy Clapin n’hésite pas à prendre des risques narratifs et stylistiques. Si le film ne marque pas durablement les esprits, il se distingue néanmoins par son audace et sa représentation sincère de la douleur universelle de la perte.