"Dallas, ton univers impitoyable
Dallas, glorifie la loi du plus fort"
Non, je vous rassure, vous ne vous êtes pas trompés de critique. Vous êtes bien sur celle de Peur primale et non sur une analyse de la série Dallas. Cependant, ces quelques lignes introductives du générique de la série de David Jacobs sont sans nul doute également applicables au film de Gregory Hoblit.
Au cours de ce film, le spectateur suit les tribulations du pénaliste Martin Vail, campé par l'acteur Richard Gere, lors d'un procès retentissant choisi par l'avocat pour ses retombées médiatiques. En effet, un jeune homme d'apparence timide et fragile, enfant de chœur au sein de sa paroisse, est accusé d'avoir sauvagement assassiné son bienfaiteur, l'archevêque Rushman. Un jeune adulte perdu au visage d'ange qui assassine de sang froid son sauveur, une éminence locale du christianisme. Le combo est parfait pour faire les gros titres des médias et s'assurer une publicité gratuite indéniable. Enfin, c'est en tout cas comme cela que Hollywood envisage le milieu de l'avocature. Visiblement, le réalisateur considère que les avocats sont des fripouilles prêtes à tout pour remporter un procès et voir triompher leurs prétentions et de facto leur client, quitte à user de stratagèmes légalement discutables. Mon Dieu! Mais quel film engagé! Donnez un Oscar à Gregory Hoblit!
Sans rire, sur ce point, Peur primale est un film qui manque cruellement d'ambition, à l'intrigue cousue de fil blanc et où règnent le sentiment de déjà-vu et d'absence d'innovation. Le synopsis est à ce point neutre que l'on se croirait dans un épisode de la série Suits, c'est-à-dire une histoire sympathique mais indigne d'un long métrage hollywoodien susceptible d'être en compétition lors de prestigieuses cérémonies de récompense.
Pourtant, il n'est pas impossible de réaliser un film digne de ce nom sur l'univers judiciaire. Pensez à 12 hommes en colère, à Philadelphia, à Kramer contre Kramer... Malheureusement, et on ne peut que le regretter, Peur primale ne s'inscrit pas dans cette droite lignée de chef d'œuvre traitant de ce sujet brillant qu'est le microcosme du procès.
Ainsi, si l'on ne retenait que l'intrigue du film et le jeu d'acteur de Richard Gere, Peur primale serait véritablement oubliable et sans aucun doute oublié.
Cependant, rendons à César ce qui est à César - enfin, en l'occurrence, à Hoblit ce qui est à Hoblit - cette œuvre est sauvée par la première apparition dans un film - et quelle apparition!! - d'un acteur encore méconnu mais qui marquera l'histoire du cinéma. J'ai bien entendu nommé l'excellent Edward Norton, dans son rôle de Aaron Stampler, le jeune homme accusé de l'assassinat de l'archevêque Rushman et qui encourt pour cela la peine de mort.
Avec Peur Primale, Norton, à peine sorti de l'adolescence, décroche un rôle qui lui sied à merveille. Il joue avec maîtrise et brio le personnage du jeune adulte timide et fragile, perdu dans le monde impitoyable de l'univers carcéral. En effet, grâce à ce jeu d'acteur, le spectateur, de prime abord, ne voit pas comment un tel individu, à qui l'on donnerait le bon Dieu sans confession, aurait pu assassiner son mentor de sang froid.
Même après les révélations relatives au tournage de films peu catholiques sous la houlette de l'archevêque mettant en scène contre son gré le jeune Stampler ainsi que d'autres enfants de chœur, l'accusé reste aux yeux des spectateurs le profil type de l'innocent s'étant trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. En effet, nonobstant le fait que Stampler ne puisse expliquer la présence du sang de la victime sur ses vêtements, lequel prétextant une amnésie passagère, il apparaît difficile de croire à la culpabilité d'un jeune homme aussi frêle et fragile physiquement et psychologiquement.
Cependant, au bout des trois quarts du film, coup de tonnerre! On apprend que Aaron Stampler, victime dans son enfance de violences répétées, souffre d'un trouble dissociatif de l'identité (TDI). Pour survivre à l'ensemble des moments difficiles vécus et en quelque sorte pour protéger Aaron de cette vie de misère, son cerveau a créé Roy, un double plus fort et plus solide prêt à tout pour venir en aide à Aaron. Après cette révélation au cours d'une scène mémorable durant le procès dans laquelle Norton joue avec justesse en passant du rôle d'Aaron à Roy en quelques secondes, Stampler échappe à la peine de mort.
Si le film s'arrêtait ici, cette dernière partie de film serait déjà assez intéressante grâce à la partition de Norton qui aurait - n'ayons pas peur des mots - sauvé le film à lui seul. Cependant, c'est sans compter sur l'ultime rebondissement. A la toute fin du film, par le biais de l'avocat Martin Vail, le spectateur apprend au cours d'un twist final réussi que Stampler n'a jamais souffert de TDI. Au contraire, tout ceci provient de son imagination et a été créé de toutes pièces pour échapper à la peine de mort. Aaron n'a jamais existé. Seul demeure Roy, la face maléfique. L'avocat est stupéfait. Le spectateur est sous le choc. La fin est brillante. Il n'y a pas plus de TDI que de beurre en broche.
Cette mécanique reprise depuis à maintes reprises - notamment au cours de l'épisode 9 de la saison 1 de la série Mentalist avec l'excellent Frederick Koehler jouant le rôle de Tommy Olds - réussit à faire de ce film une œuvre intéressante et est l'illustration qu'une fin réussie et un acteur d'exception peuvent sauver une intrigue ringarde et sans grand intérêt.
Selon ce film, "en matière de justice, l'important n'est pas d'avoir tort ou raison, c'est de gagner". Comme énoncé préalablement, je ne considère pas que c'est cette maxime que l'on devrait retenir du film. J'énoncerai plutôt qu' "en matière de film réussi, l'important n'est pas d'avoir une intrigue parfaite, il suffit d'une fin exceptionnelle et d'avoir Edward Norton au casting".