Voici un film qui traite du regard.
On approche les comportements humains qui se positionnent face à la différence par le biais de leurs yeux qui s'accrochent à des détails qui déterminent leurs sentiments. Illustrons cela par quelques moments clés du film.

D'abord le générique traçant le quotidien du commun dans Philadelphia, en survol, en légèreté dans la musique de Bruce Springsteen "Streets Of Philadelphia". Ces lieux qui parlent leur époque, ces petits détails misérables ou fraternels. C'est l'annonce que nous allons mesurer la norme et ses préjugés, qu'ils soient bienveillants ou venimeux.

Puis à l'hôpital, alors qu'il est isolé dans sa bulle musicale et ses préoccupations professionnelles, Beckett, sous les traits de Tom Hanks, capte du regard les stigmates physiques sur le corps d'un malade, son intérêt étant engagé par sa propre épée de Damoclès. Ceci présage déjà de la leçon du film selon laquelle il est malheureusement trop souvent nécessaire d'être concerné par une situation pour y prêter attention, et plus encore, pour en être touché.
Il y a aussi le regard sur soi, lorsque la maladie vient estampiller son propre corps. Il tente de préserver les apparences sous le fard pour continuer de vivre dans la normalité, et dans l'estime des autres qui eux pointent du doigt la différence, le soupçon et l'inquiétude.

Quand l'irréversible tombe, quand l'ordre social vous congédie sous l'artifice de votre incompétence, il s'agit d'avoir le courage de réclamer justice. Dans la scène où Beckett (Hanks) sollicite la représentation de Miller (Washington) pour un procès contre son ancien employeur l'ayant licencié pour des raisons qu'il juge injustifiées et fourbes, il heurte le regard inquiet de l'ignorant. Beckett a contracté le Sida et l'annonce sans un once d'embarras. Et il est homosexuel. C'est alors dans le regard de Miller que se joue l'infamie de la scène. Par le jeu de l'objectif, ses yeux se posent sur les altérations visibles du visage, sur les objets que Beckett touche nonchalamment, sur sa propre main qui a serré celle du malade.. et l'on observe chez lui son impression de salissure, sa crainte de contamination, son ignorance profonde qui rend son comportement abject. Le refus de prendre à son compte l'affaire s'essuie alors, parce que, comme énoncé plus tôt, n'étant pas concerné intimement par le sujet qui lui est présenté, il se drape sous des prétextes normatifs.

Le plan qui vient ensuite peut non seulement illustrer le talent d'acteur de Hanks mais aussi le drame qui se joue dans l'âme des réprouvés : Beckett quitte l'office et sort dans la rue. Il reste fixe, et sur son visage passe toute la fragilité de la déconsidération qu'il subit. L'émotion est retenue, c'est dans les tréfonds. Mais le courage n'abdique pas.

Tant d'autres scènes viennent ponctuées l'intolérance face à la maladie méconnue et la discrimination de l'orientation sexuelle.
Celle de la Bibliothèque amorce la transformation du regard de Miller sur l'indignité des a priori sociétaux, quand on vient inciter Beckett à s'isoler loin du commun. Acceptant par la suite de représenter Beckett au procès, Miller commence d'approcher l'intégrité de l'humain, changement qui se poursuit durant la fête déguisée quand il observe Beckett danser tendrement avec son amoureux. Aussi évident que cela puisse paraître pour certains, d'autres ont besoin de reconnaître que l’homosexualité n'est pas, dans l'essence, différente de l'hétérosexualité. Les gestes du coeur sont les mêmes. Ils sont normaux.

Puis advient la scène "de la Callas" où s'exprime toute la beauté de Beckett, sans retenue, portée par la voix de Maria qu'il traduit de toute son âme et qui concrétise le point d'orgue de l'histoire : l'amour, cet universel, donne son sens à l'humanité et déborde les préjugés.

La seule justice que ce film suggère à mes yeux, ce n'est pas l'histoire de procès, c'est la prise de conscience de Miller et l'amour estimable qu'il va déployer pour Beckett, résonnant en lui dans l'amour qui l'anime pour sa femme et sa fille. Tandis que la mort qui vous attrape n'a que faire de l'idée de justice. Elle n'entre pas dans la dualité du bien et du mal. Si elle éveille en nous l'injustice, c'est parce que nous sommes des êtres aimants et qu'il est douloureux de voir l'ami, l'amour s'enfoncer dans une nuit sans retour.

Ce film, j'espère, vous prendra la main sur le chemin de l'altruisme, vous donnera le goût de manifester votre tolérance et de déployer tous les possibles pour soutenir l'idéal humaniste, la justice et la justesse du coeur. D'ailleurs, savez-vous ce que signifie "Philadelphia" ? Eh bien c'est tout simplement l'amour fraternel.
Verlaine
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le 14 mars 2015

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