Dans son 4ème long-métrage, Céline Sciamma nous fait débarquer en compagnie de Marianne, une jeune peintre, sur les rivages sauvages d'une île bretonne au XVIIIème siècle.
Marianne qui vit d'art et de liberté est réduite par le portrait qu'elle doit peindre, à sceller le destin tout tracé d'Héloïse, jeune fille à marier, en quête pourtant d'autre chose.
Les grands yeux sombres et brillants de Marianne dévorent secrètement pour chaque instant donné/volé le visage et le corps d´Héloïse. Le visage d'Héloïse ferme, dur, au regard parfois glaçant, n'est pas complètement dupe de ce petit jeu. Je vois bien que tu me regardes mais que crois-tu vraiment voir ?
En attendant que se referme cet étau, il y'a pour Héloïse un peu de temps pour vivre ce quelque chose d'autre. Une frénétique scène de chant (aux allures presque de sorcellerie) autour d'un feu de joie, pulvérise la dimension hypnotique du film. Les regards se fixent et c'est l'introduction d'un désir brûlant, incandescent, qui va s'allumer, se consumer et ne plus s'éteindre, dans un choix mesuré de scènes tout en pudeur mais pas sans intensité. Adèle Haenel et Noémie Merlant au visage habillé de lumière subjuguent totalement l'écran.
Il souffle sur cette île bretonne recluse un vibrant chant de modernité, en écho à notre époque. Le droit d'aimer, d'avorter, d'exister dans son métier, de choisir sa destinée : à quand la liberté ? Il est aussi question de hiérarchie sociale. Tel un mur qui s'effondre, il suffit que la mère d'Héloïse s'absente pour que des moments de complicités et d'entraides s'installent entre les trois protagonistes.
L'absence totale de musique dans le film peut paraître surprenante. En effet, quelques notes auraient pu contribuer à l'envolée lyrique de l'histoire. Ce partie pris de réalisation peut se comprendre ainsi ; à l'instar d'une peinture, chaque plan contribue à une quête d'authenticité et de naturalisme, où seuls les bruits d'une ambiance feutrée et de respiration des corps importent.
Une fin dans laquelle, on supplierait (presque) à genoux un dernier regard du modèle à sa peintre, mais ce n'est pas nécessaire. Les yeux d'Héloïse débordant frénétiquement d'émotion à l'écoute de musique font échos au regard boulversé de Marianne à la vue du portrait de la jeune fille en feu. On comprend ainsi 28 fois mieux l'intensité de cette flamme qui continue encore et encore à ravager les coeurs.