Presence
6.4
Presence

Film de Steven Soderbergh (2024)

Faire des efforts sur 1h25, c'est déjà trop

Il y a longtemps que je ne m'étais pas confronté au cinéma de Steven Soderbergh et j'avais envie de voir où il en était, surtout que je suis rentré en salle sans rien savoir de ce Presence sinon qu'il ne durait qu'1h25 et qu'il s'agissait d'un film d' « épouvante-horreur », du moins d'après ce qui était écrit sur AlloCiné et ici. (Ah ?)

Or, franchement, dans un premier temps, j'avoue avoir été plutôt séduit.


Une maison vide. Une caméra qui s'y balade caméra au poing, façon vue subjective, sans bruit. Pas besoin d'attendre l'apparition du titre Presence pour comprendre l'idée. La forme porte déjà le fond, et sans fioriture en plus de ça. Moi ça m'immerge tout de suite. Je prend le pouls de cette baraque vide qui raconte déjà quelque chose à elle seule ; un récit qui s'enrichit par l'arrivée de ses premiers visiteurs.

Voilà un lieu qui a une vie, un passé, mais qu'on vend et qu'on achète pour tout autre chose. C'est un cadre et un mode de vie qu'on y projette ex nihilo. La vie du lieu est un détail qu'on ignore et qui ne nous intéresse pas. Tout un symbole : sitôt ces acheteurs compulsifs sont-ils passés tel un ouragan que c'est au tour d'un ballet d'ouvriers de prendre le relais ; des ouvriers qui sont là pour remodeler le lieu avant même qu'on ait pris la peine de l'appréhender ; des ouvriers qui, malgré tout, paraissent déjà plus sensibles à la réalité des lieux.

Ce passage en plan fixe où un peintre explique placidement à un de ses collègues qu'il peint seul dans la pièce parce que son acolyte refuse juste de rentrer dans la pièce, sans explication, moi, c'est le genre de scène qui me plaît.

Il y a un petit côté à la A Ghost Story qui permet de totalement relativiser les instants et les personnes. Franchement, sans m'annoncer un chef d'oeuvre, Soderbergh avait au moins ce mérite, avec le début de ce Presence, de me mettre confortablement dans mes petits chaussons.


Et puis malheureusement, tout ça s'étiole progressivement.

Alors certes, il y a toujours quelques petites bonnes idées ici ou là.

Le fait qu'on suive toute l'intrigue au travers de la « présence » apporte une subtilité appréciable, intégrant de fait un personnage supplémentaire dans la narration ; personnage supplémentaire auquel on est mécaniquement associé (encore une fois, comme dans A Ghost Story, une sorte de fil conducteur plus qu'appréciable). De même, le dévoilement de l'histoire de chacun se fait par fragments choisis, ce qui sait entretenir plutôt habilement la curiosité ; tout comme le rapport récurrent de la « présence » au placard et aux miroirs qui maintient elle aussi les sens en alerte. On se dit qu'il y a quelque chose qui va être raconté avec tout ça, et sur un temps pas abusivement allongé en plus. Autant donc dire que, pour le coup, ça fait plaisir de tomber sur un film qui nous respecte un peu et qui ne nous prend pas trop pour des cons...

Le problème, c'est que de « pas trop », on passe petit à petit à « un peu » voire, sur le dernier segment, à « pas mal ».


D'abord l'écriture des personnages n'est quand même pas très fine. Je veux bien qu'on fasse le choix de donner à voir une famille dysfonctionnelle, là-dessus je n'ai pas de souci. Ça marche d'autant mieux quand les failles de chacun traduisent des maux de leur temps comme c'est le cas ici. Seulement, la plupart du temps, le dysfonctionnement d'une cellule familiale repose sur ce qu'on n'ose pas affronter ni verbaliser, or, là, ça verbalise un peu trop. Et c'est de pire en pire.

Arrivé vers la moitié du film, il n'y a plus grand chose à cacher, y compris au sujet des intentions de l'intrigue. Pire, on commence à se retrouver confronté à des échanges plus que lunaires et qui ne semblent tenus que dans une pure logique artificielle de préparation à ce qu'il va advenir par la suite.

Je pense notamment à ce moment où Tyler vient s'excuser pour l'attitude excessive qu'il a pu avoir à l'égard de sa sœur et où Chris lui répond textuellement : « il y a un homme formidable en toi et j'ai hâte un jour de faire sa connaissance ». Mais qui dit ça à son fils franchement ? Enfin, je veux dire, qui dit ça quand il est censé être Chris le canard hypersensible ? Ce headshot sorti de nulle part, il est clairement envoyé pour faire écho à une scène ultérieure. À ce moment-là de l'intrigue, ça apparaît aussi évident que le nez au milieu du visage. Du coup, ça nous aiguille un peu bêtement sur ce qui va se passer. Une balourdise totalement contreproductive.


De toute façon, et de manière générale, le film semble avoir totalement lâché l'affaire sur l'ensemble de sa seconde moitié. On voit d'autant plus clair dans le jeu de Soderbergh qu'il se réduit sans cesse davantage en de grosses ficelles de plus en plus caricaturales. Certains passages, notamment celui de la medium, est particulièrement malaisant tant il surligne tous les clichés du genre.

La déchéance est telle qu'au final, je n'ai même pas été étonné de constater que, pour assurer sa grande révélation conclusive, le scénario en vienne carrément à déroger à ses propres règles.

Pourquoi le fantôme, qui est capable de mettre une chambre sans dessus-dessous, laisse faire Ryan la deuxième fois où il tente de droguer Chloé ? Parce que bon, moi je veux bien que le fantôme soit un esprit en recherche de sa propre mission, mais pourquoi intervenir la première fois et pas la seconde ? Surtout que, bon, entre-temps, il a bien eu l'opportunité de révéler son côté ultra creepy le Ryan !


Je trouve même dingue de constater comment la révélation finale de ce Presence – à elle seule – se pose comme une incroyable antithèse de ce que ce film a essayé d'être en son début. Ah mais là ! Mais cette révélation finale ! Quel plaidoyer à la connerie ! Parce que, franchement, cette fin, elle ne peut faire son effet QUE si on ne réfléchit pas DU TOUT.

Woooow mais en fait le fantôme c'était Tyler depuis le début ?! Oh mais je ne m'y attendais pas ! Trop fort ! Parce que bon, si j'ai bien suivi, quand on parle du fantôme de Tyler, en fait on parle du Tyler qui est mort en sauvant sa sœur in extremis hein ! ...Donc, si je suis bien la logique du truc, ça veut dire qu'en mourant, son âme a voyagé dans le temps pour revivre rétrospectivement son arrivée et celle de sa famille dans la maison... Mais en oubliant tout au passage... MmmOK... C'est donc ce même fantôme de Tyler qui, après avoir assisté à toute la manigance de Ryan pour tuer sa sœur qui trouve la lucidité (un peu tardive) d'aller réveiller son lui du passé (pourtant drogué) afin qu'il aille accomplir un geste salvateur... Mouais, d'accord. Pourquoi pas... Mais... Mais attends deux secondes... Donc, si je comprends bien, ce qui a causé la mort de Tyler c'est... La mort de Tyler ?! (Silence soudainement dubitatif.) #euphémisme


Cette démission scénaristique, j'avoue qu'elle me laisse quand même bien amère.

Je ne demandais pas à Presence d'être un grand film, mais j'aurais quand même bien aimé qu'à minima il sache à peu près tenir la route le temps de ses 1h25.

Mais bon, visiblement, en 2025, même de la part d'un Steven Soderbergh, avoir un film qui mène son affaire rigoureusement sur moins d'une heure et demi, c'est trop demander.

Visiblement, pour un type comme Soderbergh, servir un vague ersatz de A Ghost Story à la façon d'un Shyamalan des moyens jours, ce n'est pas honteux. Ça se fait.

Alors certes, ce n'est pas hideux – surtout au regard des standards actuels – mais, en ce qui me concerne, après un film comme ça, moi je n'ai qu'une seule envie : me refaire ce bon vieux A Ghost Story. Parce qu'avec le film de David Lowery, au moins, en une et demie, je m'en prends plein les yeux et jamais on ne m'a traité comme un abruti.

Une autre époque, à croire... Un autre monde aussi...

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il y a 2 jours

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