Il y a quelques années, le canadien Denis Villeneuve frappait fort avec Incendies. En attendant Enemy pour l'an prochain, lui aussi avec Jake Gyllenhaal dans le rôle titre, sort dans nos salles Prisoners. En voyant la bande-annonce du nouveau film de Villeneuve, j'imagine que beaucoup ont suivi le même raisonnement : thriller + polar + enquête + Jake Gyllenhaal = Zodiac. L'équation était simple, et semblait évidente, d'autant plus que la bande-annonce semblait donner à Prisoners un rythme beaucoup plus nerveux qu'il ne l'est finalement. Croisement plutôt étonnant entre une véritable mise en scène supra-réaliste, du polar européen (majoritairement scandinave), des thématiques sud-coréennes (j'ai beaucoup pensé à la scène de la zone désaffectée de Lady Vengeance de Park Chan-wook, ceux qui ont vu les deux comprendront) et un script mindfuck qui n'est pas sans rappeler les plus grosses réussites du thriller US des quinze dernières années, Prisoners c'est avant tout et surtout un sacré vent d'air frais sur le film policier américain.

Le film de Villeneuve est en fait un anti-film. Ou du moins un anti-film-américain, mettant en péril tous les codes habituels du genre : Villeneuve filme les rares scènes d'actions comme si les protagonistes allaient faire leurs courses, les scènes de tensions misent d'avantage sur l'ambiance que sur des jump scare habituels, les héros du film ne sont ni des ripoux, ni des parents parfaits, ni des gens généreux : ce sont des personnes normales, le scénario prend son temps et on se rend compte rapidement que Prisoners est un film de personnages. Si quelques rebondissements et ressorts narratifs judicieusement évités tout le long du film refont leur apparition vers la fin, on ne peut qu'être admiratifs du style général qui va à contre-courant de toutes les attentes du spectateur lambda (dixit les personnes qui étaient derrière moi dans la salle). Mais malgré ses 2h30 et le fait qu'il prenne son temps, Prisoners passe très rapidement.
Puis bon, voilà, si on met à part la réalisation léchée (cette photographie, mon dieu) de Villeneuve, si il y a quelque chose à retenir de Prisoners, ce sont ses acteurs : Hugh Jackman est brillant, probablement son meilleur rôle même si la comparaison est limitée, Jake Gyllenhaal, avec ses mèches à la Travolta dans Blow Out, son regard de chien et sa posture installe un charisme instantané. A côté de ça, on regrettera juste que les seconds rôles soient parfois un peu négligés malgré une interprétation généralement excellentes de ses acteurs : Paul Dano crève l'écran, Maria Bello est excellente.

Prisoners pose des questions d'une grande intelligence en plus de ça : on parle ici de nature humaine, de vengeance, mais aussi et surtout de justice. Un propos d'autant plus fort qu'il est aujourd'hui en France sujet d'actualité, notamment du côté des bijouteries de Nice, et la réponse que porte Prisoners involontairement est d'une grande sagesse mais aussi d'un grand pessimisme : malgré des retournements en apparence heureux, la noirceur de la vision du monde, de la mort et de la justice (justement) rythment l'oeuvre de Villeneuve tout du long.
On est face à une suite de dilemmes moraux amenés intelligemment et sans enfoncer des portes ouvertes, et c'est ça qui le rapproche dans le fond énormément du "vengeance movie" coréen dans ses choix scénaristiques subversifs et forts. Et ce malgré que l'intrigue générale connaisse malheureusement des coups de mou vers la fin. Mais malgré ces éléments qui entachent le récit, il ne fait aucun doute que Prisoners cloue son spectateur sur son siège. Du moins c'eut été mon cas.

Pour faire bref : à voir. Absolument. Il y a toujours le risque d'être déçu, d'autant plus que le film de Villeneuve semble jouir d'un buzz ultra-positif, mais la maîtrise de l'ensemble ne peut laisser de marbre : on est face à l'un des films de l'année, ça ne fait aucun doute, et Hugh Jackman mériterait tellement plus une place aux Oscars pour ce rôle que pour sa prestation dans Les Misérables. Villeneuve, en deux films, est passé du total inconnu à celui de véritable mec à suivre, dont le futur film prévu pour l'an prochain est d'ors et déjà attendu de pied ferme. Et non, contrairement à ce qu'on rabiboche par-ci par-là, ça n'a strictement rien à voir, ni avec Le Silence des Agneaux, ni avec Mystic River, ni avec Zodiac - car au-delà de l'aspect criminel de la chose, Prisoners est un film sur l'être humain. Un film sur vous et moi.
Vivienn
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le 11 oct. 2013

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