J'enchaîne les thrillers. Après avoir revu hier l'excellent No country for old men, voilà que je tombe sur Prisoners de l'un de mes réalisateurs préférés, Denis Villeneuve.


L'occasion de vérifier si le 9 que je lui ai attribué il y a 3 ans est toujours valable.


En dehors d'une ou deux scènes un poil grotesques ou outrancières (on dira, à l'américaine) - la folle course de Gyllenhaal pour rejoindre les urgences, l'épanchement larmoyant de la mère par la suite, et une autre scène dont je ne pourrais parler sans spoiler - je dirais que Prisoners est sans doute l'un des meilleurs thrillers de ces 10 dernières années.


Cela tient encore à peu de choses : une interprétation bouleversante, colérique et sauvage, du personnage principal - père dépassé, aux confins de la folie interprété par un Hugh Jackman en grande forme dramatique; un flic bourré d'intuition mais aux prises avec une enquête coriace qui met ses nerfs et ses convictions à rude épreuve ; une mise en scène formidable qui ménage de nombreux moments de suspense insoutenable (finalement un peu dans l'esprit de No country for old men), une atmosphère étouffante, anxiogène, un décor sale, terne, pluvieux, et une violence radicale dont on ne sort pas indemne.


Le scénario propose également des rebondissements en cascade : l'enquête du détective Loki semble ne jamais pouvoir s'achever, les jours défilent, le compte à rebours s'enclenche dès les premières minutes et l'on sait que le temps joue contre une happy end.


Qui sont ces prisonniers dont parle le titre ? Tous les personnages en réalité. Les deux petites filles enlevées évidemment; le père prisonnier de sa colère, de ses envies de vengeance incoercibles, de son aveuglement, de sa douleur absolue; le flic, prisonnier de son enquête labyrinthique qui semble sans issue, toujours dans l'impasse; le coupable que désigne le père et que son mutisme va énerver un poco; enfin le spectateur, pris en permanence entre deux feux, incapable de se faire une idée claire de la situation... La menace qui plane sur cette petite ville américaine est renforcée par une bande son sourde et inquiétante qui glace le sang.


Avec Denis Villeneuve, on sait qu'on va vivre une expérience radicale, éprouvante, dont l'espoir est souvent absent. On a pu reprocher à ce réalisateur de se complaire dans une certaine noirceur, dans une jouissance de la souffrance : il est vrai que nous je sommes guère épargnés de ce point de vue. Malgré tout cet engagement total du scénario dans l'obscur me paraît toujours extrêmement réussi, la tension monte crescendo sans jamais desserrer son étreinte - demande-t-on autre chose d'un thriller ?


Il faut aussi noter la réflexion profonde, par petites touches, autour de la notion de transcendance : plusieurs fois dans Prisoners, on surprend les personnages qui prient, on entend des Notre Père, comme si, au fin fond du désastre et du désespoir, cette parole mystique pouvait guérir, soulager, combattre l'ombre - permettre aux prisonniers de respirer un peu.


J'ai trouvé l'idée très juste : toute personne ayant traversé un deuil, une situation inextricable sait que la foi, et cette parole performative qu'est la prière, peuvent aider à garder la tête hors de l'eau. C'est ce que souhaite montrer, je le crois, le réalisateur.


Il y a du Zodiac de Fincher dans cette histoire de labyrinthe, un symbolisme puissant que j'ai trouvé très singulier et qui donne une dimension encore plus inquiétante à l'enquête.


Je viens de lire qu'une suite serait à l'étude : au vu de la scène finale, à la clôture abrupte, terrible, on se dit qu'il y a effectivement du potentiel - une fin qui, bien que redoutable, m'a toutefois un peu laissée sur ma faim !


Bref, 2h d'un thriller implacable porté par un duo d'acteurs excellent, qui vous tiendra en haleine de bout en bout : du grand Denis, as always.

Créée

le 14 mars 2017

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