Un des derniers feux du cinéma d'auteur à grand budget hollywoodien où l'Amérique n'avait pas peur de regarder son peu reluisant passé en face, juste avant le virage brutal vers une Amérique fière d'elle, arrogante, manichéenne, chevalier blanc qui sauve le monde à lui tout seul.
Cette fresque chorale 1900 à base de reconstitution soignée jusqu'au moindre accessoire, de personnages, représentés d'une manière subtile et nuancée, sans tomber dans le schéma des très gentils face aux très méchants, qui vont voir leur vie se croiser à un moment ou à un autre, de personnages ayant réellement existé croisant d'autres qui ne sont que de pure invention, tout en faisant en sorte que ces derniers paraissent aussi réels que les premiers, le tout sur fond d'injustice sociale et de racisme, est captivante de bout en bout. L'ensemble est dense, intense et sans le moindre temps mort.
A une époque où ce genre de films était destiné à être de gros bides commerciaux (celui-ci ne sera malheureusement pas l'exception à la règle !), seul un producteur aussi mégalo que Dino De Laurentiis pouvait avoir l'idée d'investir dans ce genre d'œuvre, de confier le bébé, en lui donnant une grande liberté, à un réalisateur aussi talentueux et d'un caractère aussi trempé que Miloš Forman.
Ce dernier ne se gênant pas en plus pour engager que des acteurs qui n'étaient pas des stars ou qui, du moins, ne l'étaient pas encore pour quelques-uns. Un culot qui paye totalement (sur le plan artistique, évidemment !) car la distribution est absolument parfaite et l'ensemble n'aurait pas été meilleur avec de véritables têtes d'affiche. Enfin pas de stars, si on fait exception bien sûr d'un James Cagney qui n'avait pas posé le pied sur un plateau de tournage depuis 20 ans et qui pourtant n'avait pas perdu la moindre once de talent et de charisme ; chapeau l'artiste pour ce dernier tour de piste cinématographique.
Que peut-on reprocher à cette fresque ? Ben, pas grand-chose. Je dirais que j'aurais voulu que le traitement des personnages soit un peu plus équilibré (par exemple, en savoir un peu plus sur l'artiste de rue juif pauvre qui va devenir metteur en scène de cinéma !), mais en toute franchise, c'est du chipotage. Non, c'est du chipotage, émanant d'un souhait que cet ensemble prenant, épique et attachant dure plus longtemps, car Ragtime, tel qu'il est, est le représentant d'un cinéma qui savait allier intelligence et sens du spectacle. Le genre de films qui me fait comprendre pourquoi j'adore le septième art.