Réaliser un biopic sur Andrée Heuschling au moment de sa rencontre avec la famille Renoir était à l'origine une excellente idée. Une rencontre qui illumina le cœur de chacun et métamorphosa le cours de leur vie. Car ici, Andrée Heuschling reste bel et bien le centre d'intérêt d'un film sobrement intitulé Renoir, sûrement par mesure commerciale, où l'artiste-peintre n'a pourtant le rôle que d'un faire-valoir. Et cela aurait pu être passionnant si Gilles Bourdos n'avait pas transformé à sa guise la personnalité de la dernière muse du fameux peintre et première égérie de son fils Jean, futur grand cinéaste.
Sur la Côte d'Azur, en 1915, la jeune Andrée Heuschling se voit engagée comme modèle par Auguste Renoir, célèbre peintre souffrant de polyarthrite rhumatoïde invalidante. Du haut de ses 15 printemps et de toute sa vitalité, Andrée va rapidement fasciner le vieux peintre qui éprouve une véritable cure de jouvence en sa présence, mais aussi changer le cours de la vie de Jean, fils convalescent de retour de la guerre, qui va tomber éperdument amoureux de l'adolescente…
En s'inspirant très librement du roman Le Tableau Amoureux de Jacques Renoir, arrière-petit-fils d'Auguste, le réalisateur Gilles Bourdos se vautre irrespectueusement dans les anachronismes et les incohérences. En réécrivant l'histoire à sa sauce, il dresse un portrait psychologique d'Andrée à mille lieues de la véritable personnalité de la future comédienne et fait quasiment passer les Renoir pour ses victimes quasi consentantes. En ce sens, le film ne raconte absolument rien d'intéressant puisqu'il dépeint Auguste et Jean Renoir comme deux pathétiques personnes manipulés par le tempérament d'une adolescente arriviste et narcissique. Ce qui ne met guère en valeur l'innocence et la pureté d'Andrée qui aimait simplement le cinéma américain d'alors et se vit alors entrainée par le désir obsessionnel de Jean Renoir pour en faire une actrice internationale sous le pseudonyme de Catherine Hessling.
Originaire de Moronvilliers, fille d'un domestique et d'une ouvrière, Andrée Heuschling, se réfugie à Nice lorsque le 1er conflit mondial éclate. Un conflit qui n'épargnera d'ailleurs pas sa petite ville qui se verra entièrement détruite. Sublime rousse aux yeux bleus, c'est le peintre Henri Matisse qui conseille à Renoir de la rencontrer (et non la femme récemment défunte de Renoir, comme cela est narré dans le film). De 1915 à 1919, année de la mort du peintre, Andrée pose le plus souvent nue pour les dernières œuvres du Maître et finit par tomber amoureuse de Jean, second fils d'Auguste, blessé durant la guerre.
En lieu et place d'une magnifique histoire d'amour entre cette adolescente joviale et ce jeune homme désillusionné par la guerre sous le regard un tant soit peu envieux d'un patriarche en fin de vie, Bourdos préfère réinventer cet univers en offrant des personnalités totalement fantaisistes aux protagonistes. Une réécriture des faits indéniablement fade, sans émotion aucune et ennuyeuse à en mourir. En faisant passer Andrée Heuschling pour une arriviste un brin hystérique (et ce sans raison particulière), Bourdos sacrifie son film à la facilité dénuée d'imagination et aux pires clichés du genre. À ses yeux, Andrée reste une ado' un peu wesh qui aime allumer les hommes et s'amuse dans des fêtes où les prostituées soulagent les afflictions des soldats. Avec un effroyable manque de respect de sa part, le cinéaste assassine littéralement la mémoire d'Andrée Heuschling en précisant même à la fin du métrage qu'elle est morte misérable et oubliée de tous en 1979 (alors qu'elle avait tout simplement cessé toute activité artistique de par son propre choix depuis 1935). Dénigrer l'étude monographique d'une personne en salissant ainsi sa mémoire est à mon avis condamnable et mérite un zéro pointé.
Sauf que… c'est l'immense Michel Bouquet qui campe Auguste Renoir. Et l'œuvre se retrouve alors ornée d'un incommensurable intérêt en ce sens. Il en est de même pour la sublime direction photo appliquée avec grand talent par le taïwanais Mark Ping Bing Lee, remarquable chef-opérateur sur Les Fleurs De Shanghai, In The Mood For Love ou encore Millennium Mambo par le passé. Ici, chaque plan s'apparente à une toile de Maître et la vision de l'œuvre reste un pur délice visuel. Les costumes et les décors sont également à l'avenant.
Face à l'exceptionnelle performance de Michel Bouquet, il va sans dire que le reste du cast a du mal à éblouir. Que dire, par exemple, du phrasé très XXIe siècle de Christa Théret (plutôt bonne actrice au demeurant) qui oublie qu'elle interprète ici un personnage en 1915 ? Quant à Vincent Rottiers, aussi charismatique qu'une méduse échouée sur la côte Atlantique, il ne peut en aucun cas nous persuader qu'il incarne le futur réalisateur rondouillard et de génie que fut Jean Renoir.
S'égarant inlassablement dans le contresens et n'ayant rien à véritablement raconter (ce qui reste un comble avec de tels personnages), ce Renoir-là est une vraie déception.