Rester vertical fait la synthèse entre la fantaisie des premiers longs de Guiraudie et la boucle parfaite de L'inconnu du Lac, c'est-à-dire entre le délire et le sens, sans jamais abandonner ni l'un ni l'autre. Il en résulte un film outrageusement expressif - je dirais même expressionniste, en témoigne la séquence du bébé jeté aux loups. Cette force singulière s'explique sans doute par la dimension onirique du récit. Difficile de ne pas voir Rester Vertical comme un rêve, mais un rêve important, de ceux qui marquent le rêveur.
Dès le début, la perspective psychanalytique s'applique aisément : c'est l'histoire d'un homme qui veut voir le loup (on retrouve ici la grande littéralité des rêves). Puis les motifs s'enchaînent, naviguant entre l'implicite et l'explicite, fantaisie émaillée de crudité, psychisme traversé de pulsions brutes (les scènes de sexe, c'est-à-dire les scènes où le sexe des protagonistes est présent, pullulent comme autant d'indications désirantes, de flèches dans un jeu de piste tortueux), logique de coq à l'âne mais logique malgré tout.
Ce qui est splendide, dans Rester Vertical, outre la direction d'acteurs, l'humour toujours à l'oeuvre (et l'on sait que l'humour est l'un des modes de l'inconscient pour se frayer un passage jusqu'à la conscience, c'est-à-dire jusqu'à l'image), la photographie extraordinaire (les scènes de nuit sont merveilleuses, les paysages semblent vivants), les brusques bouffées paranoïaques, c'est le travail sur la variation. Variation essentiellement géographique : quelques lieux suffisent à composer un monde, mais ce qu'on rencontre, en ces lieux qui reviennent, où l'on ne cesse de retourner, change à chaque fois, surprend, désarçonne (difficile de ne pas penser au parking de L'Inconnu du Lac, où les scènes à venir étaient préfigurées par la disposition et la présence des voitures, comme autant de peaux laissées par des personnages en mue). Et peu à peu ces quelques îlots (qui paraissent de prime abord incohérents, car des Causses à Brest en passant par la Charente, la trajectoire du héros est pleine de trous noirs) prennent une épaisseur trouble, voire symbolique - ainsi ce virage à 180 degrés que la voiture du personnage principal emprunte à chaque fois qu'il quitte la bergerie pour retourner sur le toit d'un hôtel breton, virage qui est celui de la décision, de l'indécision, de l'imprévisibilité du réel et du moi, toujours prompt à ne pas vouloir se fixer ; virage, aussi, qui est celui de la vérité d'un être : il y a tant à vivre...
Au final, le film est le portrait d'un homme qui veut, comme le titre l'indique, rester vertical, c'est-à-dire toujours désirer, toujours affronter ce qui peut survenir - le connu comme l'inconnu. La dernière scène, en ce sens, est un superbe prolongement de celle de L'inconnu du Lac, presque identique, mais c'est dans ce presque que tout se joue. Comme dans tout rêve initiatique, il y a une leçon. Et l'homme qui s'en empare fait un pas de plus dans la grande nuit.