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Gareth Edwards a un sérieux problème : il ne sait pas démarrer un film correctement. Dans sa recherche forcenée mais toujours maladroite du pathos, il nous sert systématiquement une scène d'introduction aussi forcée que bourrée d'incohérences comportementales. Le sacrifice, la perte de l'être aimé, le sentiment d'abandon... tous ces sujets sont trop délicats pour le réalisateur qui a sans doute les meilleures intentions du monde, mais se prend à chaque fois les pieds dans le tapis.
Et puis, une fois le cafouillage passé et cette partie de son cahier des charges expédiée, il se libère complètement et déchaine les enfers dans un festival visuel et auditif.
Ce début de critique, j'aurai déjà pu l'écrire pour Godzilla ou Monsters. Et comme pour ces deux films, je suis ressorti positivement ravi, mais cette-fois plus encore qu'auparavant.
Car ce Rogue One est plusieurs choses à la fois : un film de genre, un hommage, une hérésie et un prophète porteur d'un nouveau message.
Hérésie et prophète parce qu'il apporte une réponse à une question que l'on pouvait se poser légitimement : est-il possible de filmer cet univers sans recourir à ses codes visuels établis depuis 1977 (caméra stable, plans larges et américains, transitions glissées), et ce sans le trahir pour autant ? La réponse dépendra de chacun, et peut-être que les plus orthodoxes ne supporteront pas une réalisation plus proche du Soldat Ryan que de l’épisode 4, mais en ce qui me concerne, c'est un OUI franc et massif.
Film de genre pour son développement. À l'instar de son héroïne principale, Rogue One va crescendo à mesure qu'il parvient à se détacher des boulets qu'il s'était lui-même attaché aux pieds en début de récit. Et lorsque les deux n'ont plus rien à perdre, l'énergie et la rage qui les animent prennent le spectateur par les tripes et l'embarquent dans les scènes de combat (spatiales et au sol) les plus spectaculaires depuis le Retour du Jedi. Intenses, rapides, lisibles, sans répit et sans retenu, Edwards est un maître incontestable du film qui fait BOOM sans recourir à la shaky-cam nauséeuse comme trop de ses contemporains.
Hommage enfin, lorsque le film parvient à s'établir une identité propre et forte sans pour autant oublier d'établir les liens nécessaires avec l'histoire globale dans laquelle il prend place. Les caméos et références ne sont pas toujours amenés de la manière la plus subtile, mais il ne sont jamais forcés ou malvenus, et l’œil attentif du fan pointu saura repérer certains détails qui ne manqueront jamais de lui apporter le sourire au lèvre. Les plus grincheux râleront évidemment en qualifiant ces éléments de "fan-service de bas-étage", mais soyons pour une fois honnête : leur absence aurait été encore moins bien accueillie.
Mention toute particulière à une très belle prouesse technique que je ne me permettrai pas de révéler en détails, mais qui repousse un peu plus loin les frontières de la terrible Uncanny Valley séparant l'acteur réel et l'acteur virtuel. Sans doute ces effets vieilliront-ils avec les années, mais pour l'heure on peut dire sans se tromper que c'est de très loin ce qu'on a pu voir de mieux dans le genre.
Alors non, tout n'est pas parfait et les ronchons ronchonneront. Et j'ai pu aussi, par moment, faire une moue dubitative face à des relations entre personnages mal amenées ou mal entretenues, où à un recours excessif au crédo "Que la Force soit avec toi/moi/nous/vous" dans une période où les Jedi ne sont déjà plus qu'un souvenir. Mais ce dernier acte aussi époustouflant qu'épique rachète tous les errements et toutes les fausses notes d'un démarrage toussotant. Comme un concert de rock où le groupe arrive en retard et légèrement enroué, pour finir sur une prestation mythique dont les fans se souviendront longtemps.
Allez-y.