Rubber c’est l’œuvre de Quentin Dupieux. Mr. Oizo, pour les intimes. Cinéaste français méconnu, il est de prime abord un musicos irrévérencieux incarné par Flat Éric, une peluche de couleur jaune pensée pour être un oiseau. Son électro est bruyante, stupide, complètement aléatoire à l’image de son compositeur : un bonhomme à la pilosité négligée qui réalise se propres clips avec 3 bouts de ficelles et qui reste, au fond, un grand gamin naïf qui voit le monde à sa façon. En 2001, il réalise Nonfilm, un premier long-métrage qui met le cinéma en abyme et pose les jalons de son style surréaliste décomplexé. Quentin Dupieux joue avec le 7ème Art, brise allégrement le 4ème mur, expérimente à n’en plus finir, s’amuse de la vie et de la mort sans pour autant faire n’importe quoi dernière la caméra.


Après un Steak mal digéré par la critique en 2007, Rubber est son troisième long métrage. Nous sommes le 10 novembre 2010.


À la manière d’un Daft Punk's Electroma, tout commence au beau milieu du désert californien. Se lançant dans un monologue absurde, un archétype de shérif californien nous introduit à l’univers de Rubber dans lequel tout tient debout par la simple force du « no reason », une figure de style surréaliste d’une puissance démesurée. Quentin Dupieux l’a inventé lui-même pour l’occasion afin de justifier scénaristiquement un certain nombre de choses, notamment la présence de spectateurs dans son film. Ce derniers, justement, espèrent assister à un grand spectacle divertissant. Ils veulent du frisson, de l’angoisse, de l’amour… bref, une histoire qui les tienne en haleine. Après tout, ils ont payé pour ça, exactement comme nous-mêmes paierions une place de cinéma. Mais alors, pour quel film ont-ils payé ?


À la croisée de plusieurs genres, Rubber nous raconte les tribulations d’un pneu télépathe qui s’appelle Robert. Après s’être dégourdi la gomme entre les cailloux et les herbes folles, il finit par se retrouver en pleine civilisation à faire la connaissance d’une poignée d’humains tous plus fous les uns que les autres : un vieil américain aigri, une femme de ménage, un père et son fils en toujours en conflit… Mais la personne qui va retenir son attention n’est autre qu’une très jolie jeune femme interprétée par Roxane Mesquida dont il va tomber éperdument amoureux au point de tuer quiconque se dresse entre elle et lui. Jusque-ici, tout va bien.
Ceci étant dit, un curieux malaise plane au-dessus du désert californien. Certains personnages s’étonnent de voir un pneu vivant rôder dans les parages et la police locale s’inquiète du nombre croissant de meurtres. Qui pourrait donc être assez fou pour soupçonner Robert ? Là est tout le mystère de ce film.


Sur Internet, beaucoup essaient de ranger Rubber dans une case mais Rubber est bien plus complexe qu’un simple road-movie vaguement expérimental. Il s’agit d’une comédie à l’humour décalé, noir, qui réactualise les codes de nombreux genres à la fois : le slasher, pour commencer ; le personnage principal étant quand même un pneu qui tue des gens en suivant un mode opératoire bien précis ; ou encore le thriller avec les forces de l’ordre, l’enquête et les victimes. On peut également y trouver un fort emprunt au surréaliste tant les événements improbables et inexpliqués sont légions à ponctuer l’histoire. Et Rubber c’est un film à histoire, justement. Certes la mise en scène est léché mais Quentin Dupieux a préféré s’intéresser à quoi montrer dans son film et non pas à comment le montrer. De fait, toutes les idées qu’il a pu avoir pendant le processus de production sont passées dans la narration et c’est ce qui a donné (dans le bon sens du terme) le récit bâtard que l’on connait aujourd’hui. Parce que, finalement, se contenter de filmer des acteurs dans un décor ça ne plait pas du tout à Quentin Dupieux ; pour lui, ça c’est du théâtre filmé. Aussi, il se permet de disséminer aux quatre coins du désert des éléments qui nous font sortir du film, nous rappelant constamment que nous regardons de la fiction. Globalement, ce parti-pris fonctionne très bien mais, comme toute chose, a quand même ses limites.
Sans aller jusqu’à dire que Rubber ne va pas plus loin qu’un simple exercice de style, si Quentin Dupieux arrive tant à s’amuser avec l’absurde, le surréaliste, pourquoi ne va-t-il pas plus loin ? L’irrationalité de départ, le « no reason » si magnifiquement explicité, est une excellente idée pour déstructurer une narration, mais pourquoi vouloir alors à tout prix la restructurer en répétant des scènes, des dialogues, des situations ? Tout part merveilleusement en couille, et sur les chapeau de roux avec ça, mais se transforme peu à peu en une soupe tiède, logique, forcé de constater que le public est obligé de regarder un pneu rouler pendant 1h18 en étant pleinement conscient que Quentin Dupieux se moque de sa propre narration, de son propre film. Rubber est un non-sens, une non-narration qui pourra en excéder plus d’un.
Nonobstant, Rubber est également une œuvre très personnelle et Quentin Dupieux le revendique fièrement. Il réfère souvent à sa musique, dans les dialogues. Et si les spectateurs sont malmenés, dépouillé, obligés de dormir en pleine nature et de s’entretuer pour manger, c’est pour se venger de ces mêmes spectateurs qui n’ont pas su apprécier Steak trois ans auparavant. Il a vraiment été pourri dans tous les sens, ce film, alors qu’il est pas si mal. C’est simplement qu’il a été vendu comme « la nouvelle comédie d’Éric et Ramzy » alors qu’il n’est rien d’autre qu’un film d’auteur. Ni plus, ni moins.


Quentin Dupieux est un auteur. Pas un auteur comme les autres, évidemment. Son univers est assez barré pour séduire comme pour repousser, mais il fait les choses bien, avec amour, et met les non-sens de la vie au service de son cinéma.


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le 27 avr. 2015

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AnarchikHead

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