Si on peut comprendre la volonté du distributeur de présenter le nouveau film de Jonás Trueba comme une comédie romantique (c’est du moins ce que les affiches et la bande-annonce laissent penser) afin d’attirer plus de monde en salle, il y a de fortes chances que cette démarche se révèle à double tranchant et qu’une grande partie du public puisse se sentir floué lors de la projection. Septembre sans attendre a en effet peu de choses à voir avec les standards auxquels les spectateurs sont habitués. Trueba, fidèle à sa réputation d’héritier ibérique de Rohmer auprès de la critique française, emprunte une voie davantage influencée par la Nouvelle Vague (les fameux « films bobos en appartement » décriés avec véhémence – parfois pour de très bonnes raisons).


Alejandra dite « Ale » (Itsaso Arana, muse du cinéaste, qui illumine chaque scène de sa beauté solaire et nous rappelle ce que c’est de tomber amoureux au cinéma) est réalisatrice et Alex (Vito Sanz, autre fidèle collaborateur de Trueba) est acteur. Après quinze ans de vie commune, ils prennent subitement la décision de se séparer et d’organiser une fête en cet honneur, se basant sur une vieille réflexion du père d’Ale (Fernando Trueba, le propre père du réalisateur – qui a dit népotisme ?) selon laquelle il est plus approprié de fêter les séparations (actées dans le temps et donc définitives) que les unions (par nature incertaines et soumises aux aléas de la vie).


De ce canevas pour le moins truculent, Trueba tire une comédie à la fois douce et mélancolique, qui ne s’attarde pas tant sur la finalité du voyage (la fête en question n’aura lieu que durant les dernières minutes) que sur le chemin pour y arriver : la quasi-totalité du long-métrage se présente ainsi comme une répétition burlesque de la même scène dans laquelle nos deux protagonistes exposent leur projet farfelu à un entourage pour le moins dubitatif. Tout en suivant en parallèle le parcours d’Ale pour terminer le montage de son nouveau long-métrage… qui s’avère être le film que nous avons sous les yeux. Fiction et réel s’entremêlent et se répondent en permanence dans un jeu à la fois ludique sur le plan de la mise en scène (avec ses multiples ruptures et expérimentations de montage très godardiennes) et sarcastique dans son aspect méta textuel (les personnages débattant ouvertement sur le caractère répétitif et indécis du film d’Ale).


Il y a bien sûr le risque que ce « film dans le film » ne transforme Septembre sans attendre en projet de petit malin beaucoup trop conscient de ses effets, ou en objet théorique désespérément froid. Mais la réussite de Trueba (et de sa coscénariste Arana) tient précisément dans la capacité du long-métrage à utiliser son concept comme vecteur de l’émotion : ainsi, une vidéo de casting face caméra se transforme en déclaration à cœur ouvert bouleversante, de même qu’un visionnage d’anciens fragments de vie numérisés ouvre la porte à la réanimation d’une flamme que le couple s’obstine pourtant à présenter comme éteinte. C’est d’ailleurs via deux scènes en apparence anodines que Trueba nous livre la clé thématique de son œuvre : une prof de peinture conseillant de retourner un portrait afin d’exprimer ce qu’on a sous les yeux et non ce qu’on connaît de mémoire ; et le père d’Ale conseillant à sa fille un livre développant l’idée que le retour de l’amour (concept nietzschéen au possible) présente l’avantage d’être débarrassé du poids des attentes et de la déception des illusions, pour ne garder que l’instant présent.


Porter un regard différent sur les images du passé, et en tirer un nouveau montage permettant de réparer les fêlures actuelles : c’est peut-être en cela que le cinéma (et par extension la fiction) parvient à nous rendre meilleurs.

Little-John
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 4 sept. 2024

Critique lue 21 fois

1 j'aime

Little John

Écrit par

Critique lue 21 fois

1

D'autres avis sur Septembre sans attendre

Septembre sans attendre
Plume231
7

Une séparation !

Jusqu'ici, le cinéma de Jonás Trueba suivait, pour ses longs-métrages, une même structure filmique en alignant les longues séquences dialoguées, souvent filmées en plan-séquence, le tout autour d'un...

le 29 août 2024

17 j'aime

5

Septembre sans attendre
Marcus31
3

Sur l'écran et dans la salle, l'ennui

Comme je suis un gars plutôt gentil et que je n'ai pas la prétention d'être un pro du cinéma, je préfère écrire que je n'ai pas du tout aimé plutôt que d'inscrire le terme navet dans cette chronique...

le 10 sept. 2024

9 j'aime

3

Septembre sans attendre
Cinephile-doux
7

Les joies de la séparation

Il peut être tout à fait légitime de s'agacer du succès (tout relatif) des films de Jonás Trueba qui, s'ils étaient français, seraient vraisemblablement qualifiés par le dévalorisant épithète de...

le 5 juil. 2024

7 j'aime

Du même critique

La nuit se traîne
Little-John
7

Ouvre-moi ta porte

Le premier film d'un réalisateur, c'est la quasi-certitude de voir à l'écran un sens de la débrouillardise quasiment imposé par le budget moindre, et une volonté de faire ses preuves qui peut tout...

le 29 août 2024

6 j'aime

La Prisonnière de Bordeaux
Little-John
7

La fourmi chez la cigale

Si ma connaissance du cinéma de Patricia Mazuy est encore très lacunaire (car sa découverte toute récente), une chose cependant m'a sauté aux yeux dès les premières secondes de La Prisonnière de...

le 30 août 2024

3 j'aime

Le Roman de Jim
Little-John
8

Papa où t'es ?

En tant que franc-comtois ayant passé une grande partie de ses jeunes années dans le département jurassien, Le Roman de Jim ne pouvait que faire vibrer ma corde sensible. Voir transposés sur un écran...

le 21 août 2024

3 j'aime