Quatrième film de Sion sono en 2015, et successeur de 'love and peace', 'Tag' est une fabuleuse petite fable de la liberté dans laquelle s'entremêlent avec force tous les ressorts du drame et de la comédie. Sion sono y instille l'horreur sanglante comme la joie pure de ces instants qui sont comme suspendus et qu'on voudrait prolonger en vain. Le grotesque et le beau s'y multiplient et s’enchaînent successivement. Soutenu d'une brillante bande son composée par Mono, Tag alterne les phases d'action haletantes au cours desquelles Mitsuko, l'héroïne, est poursuivie par une force mystérieuse qui la poursuit inlassablement, et les instants d'apaisement où toute la tension est comme mise en suspends, rejetée à l'arrière plan, oubliée. Ces jeux de contrastes dans laquelle l'histoire s'inscrit emmènent Mitsuko dans un univers onirique et grotesque dans lequel le fantastique se manifeste a tous les instants, au sein duquel les barrières entre le rêve et le réel s'amenuisent jusqu'à ne se faire plus sentir, jusqu'à n'être plus qu'une très mince cloison que l'on passe à volonté et qui se rompt a loisir. L'outrance de l'image, l'exagération du jeu des acteurs, le fourmillement démesuré de burlesque glauques tranchent exagérément avec les moments de paix.
Tag est peut-être, avec 'Love and peace' son prédécesseur, le film de Sion sono qui opère avec le plus de maestria ce passage permanent du réel brutal et grotesque au rêve apaisant et subtil où les tensions meurent d'elle-même parce qu'elles n'ont plus lieu d'être. De ce fait, la trame narrative du film est imprévisible, déroutante, insaisissable et ne produit du sens que partiellement, parce qu'elle laisse planer indéfiniment un mystère; Tag est une oeuvre aux multiples recoins d'ombres et dont on ne fait la lumière que par moments. Mais cette multiplicité de l'interprétation est là toute la force de l'oeuvre. Car du début à la fin, Mitsuko est plongée dans une brutalité sourde entrecoupée de rémission et de paix. Elle court. Après qui, après quoi? Quelle force la pousse à fuir indéfiniment d'univers en univers? On ne le sait. Quelque chose d'indéfini, de trouble et de meurtrier qui n'est jamais satisfait tant qu'il n'a pas atteint son but : la mort. Tag est le film de Sion sono qui, avec Love exposure, met en tension avec une formidable acuité la nécessité de la liberté face à la brutalité d'un monde qui aliène, de la fragilité de la vie face à l'inaltérable mort. Ce qui est en jeu, c'est la liberté de Mitsuko; liberté que, paradoxalement, elle ne trouve que dans la mort, dans une sorte de libération ultime et fatale. Le recours au suicide est finalement le seul capable de l'abstraire de la dynamique mortifère et morbide qui l’entraîne et qui a trait au jeu -un jeu triste et sordide- L'identité de Mitsuko, définitivement abstraite des puissances extérieures, se libère de la contrainte, s'affirme par la négation d'elle-même et se revendique au moyen du trépas. L'acte du suicide , puissamment métaphorique, démontre la radicalité que demande tout changement de soi, et toute réappropriation d'un destin individuel. Rarement le cinéma de Sion Sono n'a aussi bien maîtrisé l'art de la fable et mis en exergue la problème de l'identité contemporaine.