Malgré les plus de 50 ans qui nous séparent aujourd'hui de l'univers du film, Taking Off, premier long-métrage américain de Miloš Forman, reste indéniablement intemporel de par son sujet et de la fièvre qui en émane. Débarquant aux États-Unis à la fin des années 1960, Forman découvre une ville de New York en pleine ébullition culturelle, portée par le mouvement hippie et la libération sexuelle. Côtoyant le milieu artistique de cette époque, sympathisant entre autre avec Janis Joplin et Jimi Hendrix, le cinéaste tchèque décide de coécrire un scénario avec son ami Jean-Claude Carrière qui offrirait une vision réaliste du mouvement contestataire en vigueur. Mais très vite, les hippies en eux-mêmes ne touchent pas la fibre artistique de Forman. Ce dernier se voit plutôt intrigué par le nombre incalculable de runaway kids, enfants et adolescents fugueurs et essentiellement paumés, qui peuple ce mouvement de contre-culture. Épaulés par deux autres scénaristes, Forman et Carrière écrivent alors une sorte de docu-fiction qui relatent la relation compliquée entre une adolescente et ses parents.
Jeannie, 15 ans, est une fugueuse. Sans aucun don particulier pour le chant, elle participe à une audition organisée par des musiciens hippies. Ses parents, désemparés par la disparition de leur fille unique, vont découvrir l'effervescence sociale, libertaire et contre-culturelle qui sévit au sein de la jeunesse du début des seventies...
8 ans avant l'excellent Hardcore, où un père tente de retrouver sa fille adolescente et fugueuse dans l'univers du cinéma pornographique, Forman relate ici une double quête en posant tout autant sa caméra dans l'univers de jeunes artistes en herbe (notez le jeu de mot ^^) qui passent une audition en exprimant leur mal-être, leur doute, mais aussi leur espoir sous forme de chansons, que dans le cadre cossu de l'entourage familial, dépassé, pathétique et sérieusement porté sur la bouteille. La quête est pourtant la même pour les uns comme pour les autres, avec l'espoir de trouver une forme de sens à leur vie dans un monde régi par la violence (assassinat de Luther King, émeutes raciales, guerre froide ou encore celle du Vietnam). Ce sont ces liens brisés aux mêmes inclinations, mais néanmoins incompris par chacun de par la différence générationnelle, que Forman filme avec son propre style et avec énormément d'humour malgré la dureté du sujet.
Avec un casting de formidables jeunes acteurs non-professionnels repérés à Central Park, dont une toute jeune artiste hippie encore inconnue à cette époque et dénommée Bobo Bates (alias Kathy Bates, qui touchera 5$ pour participer au film en interprétant And Even The Horses Had Wings, l'une de ses très touchantes compostions), Taking Off gagne en réalisme face aux acteurs professionnels qui incarnent, à merveille, l'entourage familial. Avec quelques scène inoubliables où les parents des fugueurs tentent de comprendre leurs rejetons en s'adonnant à l'expérience de la fumette ou encore le repas final où chacun tente de communiquer avec une totale incompréhension réciproque, Forman verse dans la pure comédie aussi intelligente qu'atemporelle tout en soulignant avec subtilité la gravité de son propos. Un très grand film.