Le cinéma de Greenaway est un cinéma de symbolique.
Il n'est un plan ou une séquence de ce film qui ne soit chargé d'une lourde symbolique. Visuelle, sonore, textuelle, gestuelle, subtile, grossière, grotesque.
Tout est bon pour que s'expriment les sombres pensées de ce réalisateur torturé.
Prompt à brouiller les pistes, à mélanger les genres comme les arts, Greenaway choisit - pari scénaristique osé - de filmer la première d'une étrange troupe théâtrale. Une distance immédiate s'impose entre le spectateur et le sujet, ceux-ci étant désormais séparés par l'écran ET par la scène. C'est donc circonspect que l'on assiste aux premières interventions des acteurs/comédiens, peu concernés que nous sommes par les frasques de cette cour des miracles débridée.
Mais cette trompeuse impression de sécurité est un artifice des plus fourbes. Car si Greenaway a érigé de telles barrières, c'est pour mieux les abattre.
Le doute, tel un poison, s'immisce doucement. A mesure que les limites disparaissent, que le public semble prendre part au spectacle, absorbé, prêt à tout pour une tirade sur cette maudite scène, que les comédiens s'aventurent au-delà des planches.
Où est donc la vérité?
Les statuts sont alors brouillés. Que règne la souffrance, que triomphe la torture psychologique!
D'aucuns ne sauront soutenir la cruauté du réalisateur, le taxeront de sauvage. On ne saurait les en blâmer. Greenaway va très loin, bien déterminé à cracher sa haine du genre humain, ses convictions quant à sa maladive faiblesse. Nul n'est épargné. Plus encore que les actes - d'une violence inouïe - c'est l'inévitable abandon de l'espoir qui met mal à l'aise.
Sans répit. Car le mouvement est infini. Loin de s'enfermer dans un cadre qui s'annonçait réducteur, le réalisateur chamboule ses habitudes et virevolte comme jamais. Étude horizontale, verticale, latérale, transversale, rotative, le théâtre paraît démesuré. D'autant que les jeux d'ombres et de lumières, tours de passe-passe cinématographiques, dévoilent ou camouflent les recoins au bon vouloir du cinéaste.
Inévitables, les références picturales sont légion. Même si la caméra ne prend pas le temps de s'y attarder outre mesure. Toiles sordides, putréfiées, elles suintent le mal-être.
L'opéra s'invite régulièrement à cette lugubre célébration, renforçant s'il le fallait encore, la solennité du propos et offrant une dimension poétique à la pièce. Poésie qui imprègne, si glauque soit-elle, toute l'œuvre du réalisateur anglais.
Un film rude. Lourd de sens. Tragédie humaine en quatre actes. Une réalisation impeccable. Une ambiance sonore terrifiante.
A ne pas mettre entre toutes les mains.