Batman, année 1 + 1

[Préambule : cette critique est rédigée par un fan de Batman :D]

Beau film que ce The Batman, complexe, violent, prenant, même si la forme l'emporte parfois sur le fond.

C'est donc reparti pour une n-nième adaptation de Batou sur grand écran qui pouvait laisser perplexe (surtout à l'annonce du choix de Robert Pattinson pour le rôle principal). Heureusement, la richesse de l'"univers Batman" et de ses histoires rend l'exercice possible et vient limiter le risque de redites potentielles avec les précédents films.

Posons le constat d'emblée : les emprunts à Se7en de Fincher sont frappants, et sont en cohérence avec le but apparent de Matt Reeves de d'abord proposer un film de détective et non de "simple" super-héros.
Les comparaisons entre les deux films sont nombreuses et sautent aux yeux : le duo de détectives complémentaires entre le vieux sage à-qui-on-ne-la-fait-pas (Freeman / Wright) et la tête brûlée souvent borderline (Pitt / Pattinson), un soin extrême accordée aux scènes d'analyse et de recherche d'indices sur les scènes de crime (frappant dès la première scène

), la pluie qui tombe en continu sur une ville sombre et viciée, etc. D'ailleurs la fameuse scène de la bibliothèque de Se7en aurait eu à mes yeux toute sa place dans The Batman.

Je dois dire que j'ai été impressionné par la performance de Robert Pattinson (déjà très intéressant dans Tenet et assurément l'un des atouts de ce film) qui semble habité par le rôle. Son manque d'expression faciale (notamment dû au port du masque de Batman durant pratiquement tout le film) aurait pu le desservir au risque de le faire paraître monolithique (hello Ben Affleck / Bruce Wayne). Il n'en est rien et heureusement Pattinson réussit à toujours rester du "bon" côté de la barrière et même à transmettre des émotions - même si son interprétation soulève également quelques interrogations (cf. plus bas). A titre anecdotique, j'ai beaucoup apprécié la courte scène du port des lunettes de soleil dans le manoir et plus globalement sa démarche pesante qui vient annoncer l'arrivée de Batman avant les présentations.

Paul Dano dans un rôle peut être plus "facile" du psychopathe de service tire également parfaitement son épingle du jeu. Habité lui aussi, je ne souhaite à personne de se retrouver bloqué une sombre nuit à Arkham avec lui et ce torturé de Batou ...
Colin Farrell, quasi-méconnaissable, offre également une solide prestation. J'ai aimé le traitement réservé à son personnage, plus présenté comme un malfrat de deuxième zone avide de pouvoir (d'ailleurs un traitement identique à celui de la série Gotham, pourtant pas folichonne), et non comme un freak baroque inadapté au monde qui l'entoure (sur le modèle de Danny deVito Pongou dans le Batman de Burton).

On sent que The Batman souhaite prendre son temps (il dure près de 3 heures) pour poser les bases d'un univers riche et d'un cadre réaliste, tous deux servis par une réalisation extrêmement soignée proposant de belles scènes (la fusillade dans la noir, quelques "plans renversés" ...). Ces éléments réussissent à donner du corps au film qui réussit à trouver sa propre identité dans l'univers des adaptations cinématographiques de Batman.

Comparé à la forme, le fond n'emporte lui pas totalement l'adhésion, "coupable" de quelques baisses de rythme, notamment pour l'arc narratif autour de John Turturro ou des scènes d'hôpital.
Citons par exemple :
- la capacité du Riddler à créer une pagaille monstre sans (pratiquement) aucun allié et à la seule force de son esprit brillant et malade
- un Batman pratiquement invincible qui s'en prend plein la tronche mais se relève à chaque fois (sans une goutte de sang) pour "finir le job" - comme doté de capacités de récupération mahous
- le manque de carrure physique de Pattinson qui peut sembler un peu "léger" pour la distribution en masse de torgnoles
- le traitement quais-exclusif accordé à Batman au détriment de Bruce Wayne (qui n'est pratiquement jamais montré hormis 2-3 scènes) : son empire financier semble être en auto-gestion, et chose étonnante, Bruce Wayne semble libre de toute activité mondaine, caritative ou sociale, et fait absolument ce qu'il veut (en plus de ne jamais dormir). Egalement, rien n'est monté ou expliqué sur l'origine de son équipement tech de pointe, son entraînement, ... J'imagine que The Batman se montre ici fidèle au comics Batman : Année Un de Frank Miller & David Mazzucchelli (dont il s'inspire en partie), par la préférence accordée à Batman plutôt qu’à Bruce Wayne.
En comparaison, le Bruce Wayne / Batman incarné par Christian Bale était plus "équilibré" dans la représentation de ces 2 facettes et donc plus réaliste.
- la police de Gotham complètement à la traîne et constamment en réaction, au sein de laquelle Gordon apparaît comme le seul élément compétent
- la fin un peu convenue très "cahier des charges" (expression utilisée par un influenceur que je reprends) dans le sauvetage des citoyens et le symbole d'espoir apporté par Batman
- enfin j'aurais préféré un rôle plus conséquent pour Zoë Kravitz (actrice que j'apprécie par ailleurs) plutôt que celui un peu "passé" de la jeune demoiselle en détresse attendant d'être sauvée par son chevalier (noir) servant.

En définitive, Matt Reeves réussit avec brio sa relecture du mythe du chevalier noir et propose une intense et profonde expérience, pas forcément accessible à tous. Je pense notamment aux non-connaisseurs de Batman qui pourraient trouver le film soit soit peu/pas crédible sur le plan narratif soit vraiment trop long. En tant que fan, je lui dis pour ma part bravo et merci. En attendant la suite annoncée par bat-signal ?