Une mardi soir d’avant-première au cinéma.
On approche doucement de minuit et, après presque trois longues heures, le dernier plan du The Batman de Matt Reeves se clôt sur l’habituelle envolée lyrique puis la coupe sèche qui précèdent le générique de fin.
La salle – comble pour l’occasion – est soudainement gagnée par quelques applaudissements et il suffit alors de peu de temps pour que les clappements se généralisent. Rien d’enflammé, mais le signe néanmoins d’une satisfaction plutôt unanime.
Face à cette nouvelle déclinaison des aventures de l’homme chauve-souris sur grand écran, visiblement tout le monde avait l’air d’être content.
Et tant mieux pour eux. En même temps ils avaient de quoi…


Ils avaient de quoi parce qu’en effet, au regard de ce que le cinéma à grand-spectacle étatsunien a été capable de nous fournir ces derniers temps, il est vrai que ce The Batman de Matt Reeves a le mérite de renouer avec certaines évidences pourtant régulièrement oubliées.
Au revoir les pétarades d’emblée, les rythmes endiablés, les scénarios confus et les CGI mortifères, ici on renoue tout de suite avec un cinéma qui sait poser et cadrer les choses ; qui entend installer avant de mouvoir ; et qui surtout pense chacun de ses gestes au service de l’installation d’une narration plutôt qu’à la recherche de stimuli faciles et abêtissants.


Alors oui, il y a vraiment de quoi être content avec ce The Batman, car dès les premières minutes on sent l’intention du réalisateur d’imposer sa patte et de marquer nettement sa rupture vis-à-vis de ses prédécesseurs.
C’est sombre et lourd comme un polar new-yorkais. Tout commence d’ailleurs par une banale affaire de meurtre sur laquelle le chevalier noir va devoir enquêter aux côtés de la police.
Pas d’esbroufe ni de cascade : le Batman de ce début de film marche dans les couloirs et se faufile parmi les agents de police, il s’efforce de gérer les tensions qu’il suscite sur la scène de crime comme un fed le ferait au milieu d’une affaire locale, et à la fin de son investigation il repart discrètement sur sa moto, se masquant le visage sous un casque et sa cape sous un blouson.
La rupture est ici consommée avec les épisodes de Burton, Nolan ou Snyder.
Le Batman de Reeves sera servi noir et à hauteur d’homme, s’inscrivant notamment dans l’esprit et la lignée d' Un Long Halloween ; épisode fameux de l'ère Jeph Loeb / Tim Sale auquel le début d’intrigue fait d’ailleurs ouvertement référence.
Une belle manière de rompre donc avec le passé tout en restant fidèle avec ce qui a déjà été fait.
C’est malin. Bien mené. Ça réserve parfois quelques bonnes idées formelles…
…De quoi être effectivement bien content. Content jusqu’au bout…


Parce que oui, quand bien même ce film est-il long – voire un brin longuet – qu’on sent qu’il a réfléchi à beaucoup de choses et notamment à cette nécessité de maintenir un bon équilibre entre nécessaire refonte et besoin de préservation pour ménager les fans.
Ainsi retrouvera-t-on les grands classiques de la saga avec la mobilisation de personnages cardinaux de l'univers Batman, quelques gadgets et scènes d’actions, une course-poursuite des plus honorables (en espérant d’ailleurs que le pauvre Zack y prenne quelques notes) et même un final plutôt spectaculaire, ce qui était loin d’être donné au regard de la note d’intention du départ.
La démarche est d’autant plus remarquable que, pour chaque point attendu mobilisé, Reeves est toujours parvenu à décliner, remodeler et contourner les attentes afin de faire en sorte qu’on se retrouve bien avec un spectacle qui offre une proposition nouvelle, quand bien même l’ensemble respecte de nombreux points du saint canon batmanien…
Ah ça c’est sûr, pour toutes ces raisons, je peux les comprendre ces applaudissements.
Les gens étaient contents et ils avaient de bonnes raisons pour cela.
Tant mieux pour eux…


Seulement voilà, quitte à passer pour le rabat-joie de service, j’avoue que pour ma part je n’ai pas applaudi.
Je n’ai pas applaudi parce que d’une part ce n’est pas dans mes habitudes, mais surtout je n’ai pas applaudi parce que je n’en avais clairement pas envie.
Car quand bien même j’ai plutôt bien apprécié ces trois heures de batmaneries que malgré tout j’avoue en avoir tiré – en ce qui me concerne – un plaisir plus que relatif.
Pour ne pas vous mentir, j’ai même assez régulièrement trouvé le temps long.
C’était chouette hein mais je n’arrivais pas à m’investir. Je n’arrivais pas à me projeter.
En fait je ne suis même jamais vraiment rentré dans ce film, ou pour le moins pas dans son intrigue.
En même temps comment pouvait-il en être autrement ?
Faut-il rappeler ce que ça implique de se mater trois heures d’un film qui s’appelle The Batman en 2022 ?


Qu’il s’agisse des rapports Bruce / Gordon, Bruce / Alfred, ou bien encore Bruce / Batman, je connais tout ça par cœur pour y avoir été confronté des dizaines de fois. Sous toutes les coutures.
L’amourette entre Bruce et Selina ? Même chose ! Pour moi qui me regarde assez régulièrement The Dark Night Rises ou bien encore le Batman, le Défi de Burton, je peux vous dire que je suis familier du sujet.
Quant à cette histoire de lutte contre la mafia et cette idée que le chevalier noir serait plus un mal qu’un bien ? Falcone ? Maroni ? Cobblepot ? Tout cela je l’ai également déjà vu aussi un paquet de fois dans Begins, Dark Knight ou bien encore dans la série animée !
Cette ville à cran prête à exploser ? Cette critique sociale que le film cherche à distiller ? Déjà vu ! …Cette fois-ci dans (encore) The Dark Knight, mais aussi dans le récent Joker de Todd Philipps !
Pas un seul aspect narratif de ce film ne m’a surpris. A chaque fois c’était du déjà-vu et parfois même en mieux ailleurs.


Alors certes, c’est vrai que ça n’empêche pas de passer un bon moment et de trouver à ce film une véritable identité – un réel mérite dans la proposition qu’il fournit – mais l’usure provoquée par les multiples itérations de la franchise fait que tous les coups portés sont amoindris.
En fait c’est terrible mais à de nombreuses reprises pendant mon visionnage j’aurais aimé que ce film ne soit pas un Batman.
J’aurais aimé un autre héros et une autre histoire pour espérer être un temps soit peu surpris ; pour espérer sortir de cet univers codifié jusqu’à la moelle.
Dit autrement j’aurais aimé tomber sur un film original
…Un vrai.


Et tout ça nous ramène finalement à ce dont on accepte de se satisfaire de nos jours au cinéma.
Alors oui, c’est sûr, on peut être le genre de personne à se sentir très bien dans sa zone de confort et qui a envie d’applaudir sitôt lui offre-t-on une illusion de nouveauté ; du changement qui ne perturbe rien ; une prestidigitation qui nous fait croire que soudainement le vieux devient neuf. On peut…
Seulement le problème c’est que, pour ma part, j’avoue être un peu explorateur dans l’âme. J’aime quand on me réinvente les choses ; j’aime quand on me sort de ma zone de confort, et personnellement je pense qu’il est encore possible de faire ça avec Batman.


Le Batman de Nolan, c’était une rupture. Une vraie. Tout comme le Joker de Philipps l'a été. Et je pense que sitôt aborde-t-on un personnage aussi installé dans l’imaginaire collectif comme peut l’être l’homme chauve-souris qu’on est dès lors forcément dans l’obligation d’aller au-delà de ce qui a déjà été fait.
Batman est riche d’opposants, de déclinaisons et de péripéties. On pouvait aller piocher dans son bestiaire d’autres ennemis, on pouvait traiter l’histoire de Batman sur un segment jusqu’alors inexploré au cinéma (Damian Wayne par exemple), ou bien ou pouvait décider de traiter cet univers selon une toute autre approche discursive et sociale que ce qui a déjà été fait jusqu’alors…
C’était ce qu’avaient fait à leur époque Burton et Nolan– c’était même ce qu’étaient aussi parvenus à faire Schumacher et Snyder même s’ils ont eu selon moi beaucoup moins de réussite – mais ce n’est pas ce qu’a fait Matt Reeves…
…Du moins c’est ce qu’il a fait dans la forme mais surtout pas dans le fond.


Dès lors, qu’on applaudisse ce film, pourquoi pas. Mais qu’au moins on reste lucide sur ce qui nous a été proposé. Parce que les Catwoman, Pingouin et Falcone c’était déjà limite, mais tous les trips à base de…


…développement d’un mouvement social radical se basant sur un modèle de vigilante


…là, c’était clairement du repompage fadasse de ce qui avait déjà fait et refait ailleurs.
D’ailleurs, je trouve que plus on avance vers la fin de ce film, et plus il révèle ses limites en termes de démarche et de pertinence. A ce sujet-là, la toute fin sonne d’ailleurs comme un mini-fiasco à mes yeux.


(L’annonce du Joker pour un épisode 2 ?! Non mais vous êtes sérieux ?! Et vous comptez l'appeler comment du coup votre prochain film ?! The Dark Knight Reeves's Cut ?!)


Comme quoi le petit vent de fraicheur que certains ont cru sentir lors de ce film a quand-même de drôles de relents bien rances quand on y pense.
Pour ma part ça m’a d’ailleurs bien gâché mon final en plus d’augurer du pire pour la suite.


Difficile de ne pas s'imaginer une suite suivant le cœur d'intrigue d' Un long Halloween, c'est-à-dire un cheminement qui risque de produire de nombreuses redites avec le Dark Knight de Nolan.)


...
Mais bon, je m’engage peut-être un peu trop sur ce coup-là.
Qui sait dans quel état je serai lors de la sortie de The Batman 2.
Peut-être que moi aussi j’aurai fini par rendre les armes d’ici-là et que je me satisferai gentiment de ces petites bulles de confort et de conformisme…
…Peut-être que moi aussi j’applaudirai poliment, sans entrain, mais avec la satisfaction plate qu’il y a quelque-chose de bon dans l’immobilisme.


Ce serait triste…
…Mais, que voulez-vous, c’est aussi l’époque qui veut ça.
Des applauses pour de simples bis repetita

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le 2 mars 2022

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