Un peu trop influencé, donc peu rassuré, par des cinéphiles pour le moins très partagés, un camp d'entre eux saluant l'audace et l'originalité de l'œuvre, l'autre la qualifiant du doux adjectif d'"ennuyeux", j'y suis allé à reculons et j'ai été bien con. Bien con, parce que bon ou mauvais, il faut se faire sa propre opinion. Mais, là, la connerie de ma part a été amplifiée par le fait que j'ai apprécié ce film. Ben ouais…
De la légende arthurienne et de son chevalier Gauvain (ou Gawain, si vous êtes d'humeur anglophone !), je ne connaissais pas la version ici adaptée, d'un certain anonyme du XIVe siècle de langue moyen anglais, s'intitulant Sir Gawain and the Green Knight.
Bon, bref, le Gauvain est loin de l'image flatteuse que l'on a du chevalier (si on ne traîne pas trop chez Astier ou chez les Monty Python bien sûr !). Il est alcoolique, il est pleutre, il est paresseux, il n'est pas généreux, il est infidèle, il n'est pas désintéressé, il est faible de caractère. Il en est conscient. Il n'en est pas fier. Et comme tout bon lâche, il essaye de tricher avec le courage. Il est chevalier, non pas pour sa valeur, mais par la magie de cette chose bien moins noble s'appelant népotisme. C'est la quête initiatique d'un homme qui doit se trouver une dignité et dont le pire ennemi n'est autre que lui-même.
Le récit fait partie de la catégorie de films à poser beaucoup plus de question qu'à donner de réponses (au passage, restez bien jusqu'au bout, il y a une séquence post-générique se permettant d'être une ultime énigme !). Tous les motifs et toutes les implications sont loin d'être explicités. Et en bon conte moyenâgeux, on croule sous le symbolisme que l'on se doit de déchiffrer par soi-même.
Et cela peut être un exercice stimulant et fort si deux conditions sont réunies. La première, c'est que la consistance des personnages n'en soit pas sacrifiée. La seconde, c'est que la mise en scène soit à la hauteur. Tant que j'y pense, pour ce qui est du scénario, il y a aussi d'intelligentes mises en abyme sur le sort du héros face aux épreuves tel que la fiction en général (pas uniquement les romans de chevalerie !) le permet (voire impose par des conventions bien établies !) confronté à ce que la réalité crue aurait pu donner à la place. Mais revenons aux personnages et à la mise en scène...
L'ensemble se réduit à très peu de personnages, au strict nécessaire (alors que les histoires de chevalerie ont généralement tendance à en balancer une sacrée palanquée !). Je ne m'épanche pas trop sur les quelques secondaires, y compris sur ce fameux chevalier vert. D'abord pour éviter d'en déballer trop et ensuite pour la raison que je reconnais qu'à l'heure actuelle, je m'interroge encore sur eux. Toujours est-il que le protagoniste, dans ses faiblesses, est d'une consistance remarquable et le talent de son interprète, Dev Patel, achève de lui apporter toutes les nuances nécessaires. Et la délicieuse Alicia Vikander est tour à tour touchante et fascinante dans un double rôle, celui de la femme qui se doit d'être aimée ainsi que respectée et celui d'une tentatrice qui met à l'épreuve notre piteux preux. Il y a aussi un renard qui parle. Ce qui est tout à fait normal puisqu'on est dans le merveilleux.
Pour la mise en scène, je trouve qu'avec un budget très limité de 15 millions de dollars (soit que dalle pour un film de ce genre !), ça se démerde sacrément bien. Bon, pour le renard, on voit bien que c'est du CGI, reste qu'Hollywood nous pond des bouses à longueur de temps avec des budgets dix à vingt fois supérieurs qui piquent nettement plus les yeux à ce niveau, donc chapeau. Non, mais pour les effets spéciaux, ça s'en sort avec les honneurs. Autrement, la composition picturale est admirable. Ne détonnant pas avec celles des splendides extérieurs irlandais, les images font la part belle aux couleurs chaudes (sauf pour deux cas bien précis, je ne spoile rien en disant que pour l'un, c'est indiqué dans le titre, pour l'autre, je vous laisse le découvrir par vous-même, en disant juste que le bleu peut être aussi une couleur chaude ; pour les interpréter, chacun pense ce qu'il veut !).
En conséquence, c'est réussi sur les deux points que j'ai évoqués précédemment.
Ah oui, honte sur moi, j'ai failli oublier de nommer l'homme qui est derrière tout ça, David Lowery (avec qui je fais connaissance, mais promis, je me rattraperai sans faute sur sa filmo !). Bravo à ce Monsieur pour avoir réalisé une œuvre aussi peu commune, ambitieuse, intrigante, prenante (oui, à mille lieux de m'être fait chier, j'ai été pris !), d'une richesse et d'une poésie à côté desquelles il serait regrettable de passer. Laissez-lui une chance si ce n'est pas déjà fait. Si vous adhérez, alors, vous passerez un inoubliable moment de cinéma.