Pour son premier film The Lost Daughter, Maggie Gyllenhaal signe un passionnant thriller psychologique sur la maternité. Elle demande : naît-on maman ou le devient-on ?
Dans son regard, une profonde douleur enfouie rejaillit. Sur la plage d’une île grecque aux allures de carte postale, où, en solo, elle vient poser ses valises le temps d’une quinzaine, Leda Caruso (Olivia Colman) épie ses encombrants et bruyants voisins de chaise longue. Le soleil cogne, la mer est d’huile. Son attention se fixe sur Nina (Dakota Johnson), jeune maman à l’intrigante beauté vénéneuse, dont les yeux fatigués semblent appeler à l’aide, et sa fille. Leda est fascinée, hypnotisée par cette relation fusionnelle. Dans la tête de cette professeur de littérature anglaise de 48 ans, tout se bouscule. Les souvenirs, la culpabilité, les remords, les regrets remontent à la surface dans un trop-plein d’émotions difficiles à gérer.
Parallèlement, le ton finit par vite monter avec les proches de Nina pour une banale histoire de transat. Ils sont intimidants, plus agressifs que passifs. Puis, sur le sable chaud, la gamine disparaît, de même que sa poupée, volée par Leda. Et ce qui aurait pu être un joli film introspectif de vacances bascule vers un dramatique thriller psychologique sous le cagnard hellénique.
Cette année, il aura beaucoup été question de figures maternelles, auscultées sous tous les angles. Après Céline Sciamma (Petite Maman), Pedro Almodovar (Madres Paralelas), Mathieu Amalric (Serre moi fort), Julia Ducournau (Titane), Audrey Diwan (l’Événement) ou encore Hafsia Herzi (Bonne Mère), c’est au tour de l’Américaine Maggie Gyllenhaal d’apporter sa mère à l’édifice. Disponible à partir du 31 décembre sur Netflix, son long métrage, The Lost Daughter, vient définitivement consacrer l’an 2021 comme celui de la maman.
« Radicalisée » par le mandat de Donald Trump, selon ses dires à Première, la cinéaste que l’on connaît surtout pour ses seconds rôles dans le cinéma américain, voulait aborder un grand « tabou » : et si toutes les femmes n’étaient pas faites pour être mères ? Maggie Gyllenhaal tombe alors sur le roman Poupée volée, d’Elena Ferrante, qui l’autorise à s’approprier son livre à condition que ce soit elle qui l’adapte.
Très vite dans le récit, il apparaît que Leda a deux filles, désormais majeures, parties rendre visite à leur père au Canada. Dépassée par les démons intérieurs qui la rongent, elle rumine, vagabonde dans les méandres de son esprit : a-t-elle fait les bons choix ? Quelles ont été les conséquences de ses actes ? Qu’est-ce qu’une bonne mère ? Autant d’interrogations que Maggie Gyllenhaal explore, sans y donner de réponse définitive, dans de sublimes flash-back où Jessie Buckley incarne Leda, deux décennies de moins, plus épanouie dans des colloques littéraires qu’auprès de son noyau familial.
The Lost Daughter n’a pas volé son prix du meilleur scénario à la dernière Mostra de Venise et sa réalisatrice aurait tout aussi bien pu rafler celui de la mise en scène. Mais c’est le trio de comédiennes qu’il faut saluer avant tout. Maggie Gyllenhaal avait l’ambition d’ouvrir « un espace où des voix féminines pouvaient enfin s’exprimer » grâce à ce premier film d’une remarquable maîtrise, tant formelle que narrative. Elle offre ainsi un parfait écrin pour ses trois actrices hors normes. Chacune a la possibilité de montrer l’ampleur de sa palette de nuances, chacune dans un registre différent : le tourment pour une Olivia Colman, comme toujours, ahurissante, la fragilité et le besoin de liberté pour Dakota Johnson et la détermination pour Jessie Buckley. En résulte un passionnant et amer jeu de regards entre ces trois mères hantées et le reste d’une société qui les assigne à leur rôle et les aliène.