Après « Magnolia » ou « There will be blood », Paul Thomas Anderson s’est peu à peu forgé une réputation de cinéaste indépendant reconnu par la critique (Ours d’or et d’argent à Berlin ou les deux Oscars en 2008). « The Master » marque le retour de l’Américain après cinq années d’absence, précédé d’une foule de nominations et de prix dans divers festivals cinématographiques dont on retiendra surtout le Lion d’Or à Venise.
Qu’est donc « The Master » ? C’est un film sur l’Amérique d’après-guerre, de ses soldats rentrés du front et de leurs multiples traumatismes. C’est aussi un film sur la rencontre entre le vétéran Freddie Quell et le maître Lancaster Dodd, fondateur du mouvement sectaire « La Cause ». C’est enfin un film sur l’affrontement de deux acteurs aux styles de jeu opposés qui se respectent mutuellement et impressionnent le spectateur : le calme Philip Seymour Hoffman et l’animal Joaquin Phoenix.
C’est bien là tout l’intérêt du film et son principal défaut. Voir se mouvoir sur l’écran ces deux immenses acteurs bien trop rares (notamment pour Phoenix) et parmi les plus doués de leur génération tient de l’extase cinéphilique. La plus belle réussite de « The Master » est d’ailleurs à trouver dans les scènes qui confrontent les deux personnages (l’interrogatoire les yeux ouverts ; la scène dans la prison…).
Originalité du film d’Anderson, le rapport de force qu’aurait pu engendrer le propos du film entre un maître et son disciple est malheureusement volontairement omis (Freddie Quell, pourtant chien de garde de Dodd lorsque par exemple les policiers arrêtent l’escroc, ne cessera de revendiquer sa liberté en affirmant n’avoir aucun maître). Les dialogues entre les deux personnages sont limités, compliqués et souvent terriblement superficiels. La rencontre du film est donc largement illusoire : c’est celle de deux acteurs mais pas celle de deux personnages.
Pour le reste, si Anderson s’autorise quelques fulgurances (et notamment dans les scènes déjà citées), le film reste long et bavard. Impuissants, nous assistons à une suite interminable de saynètes (dont quelques unes tournent, il faut l’avouer, au tour de force cinématographique) dont nous avons du mal à trouver le lien qui les unit. Le postulat de départ, pourtant fort intéressant sur le mal être d’une société sortie de la guerre et de soldats détruits psychologiquement, est peu à peu galvaudé par de multiples pistes du réalisateur qui n’aboutissent jamais.
Ni critique de la scientologie, ni réflexion approfondie et complète sur l’Amérique d’après-guerre, le film souffre d’un scénario qui ne cherche jamais à prendre position. S’il a indéniablement du talent, Paul Thomas Anderson ne me réconciliera pas avec lui après la terrible désillusion que fut « There will be blood ». Le cinéma du réalisateur américain est sans doute trop mégalomane pour qu'on y trouve autre chose qu'un exercice de style plus ou moins réussi.