Il est facile de tirer à boulets rouges sur un mauvais film, aussi tâcherai-je de ne pas me complaire dans la critique. Je tiens simplement à dire que ce film ne contient rien de ce que j'aime du cinéma : des scènes, des personnages, du mystère.


Pour ce qui est des scènes, je n'en retiens qu'une, assez courte : le deuxième cauchemar, celui qui s'achève par une cuisse de poulet sortie du nombril. J'aime assez l'idée des arrêts sur image pour découvrir ce qui n'allait pas dans ce qu'on a filmé, même si c'est une idée pompée de Blow Up & Blow Out, et même si la scène ne dure qu'une minute tout au plus. Ça reste pour moi de loin le meilleur moment du film, le seul dont j'aie envie de me souvenir. Le reste se limite tout au plus à des situations, des moments que l'on peut à chaque fois réduire à une idée : rencontre avec un amoureux éperdu du lycée, séances d'aérobic hypersexualisées, drague lourde du voisin, coucheries enivrées, et surtout, transformations physiques de plus en plus atroces subies par le personnage.


Si l'on peut parler de personnage, car le deuxième gros souci du film (qui n'est que la conséquence du premier, ou inversement), c'est son évacuation totale de toute humanité. En apparence, le film ne fait exister qu'un seul être, double, qui est de tous les plans (parfois même deux fois...), et qui n'a aucune relation amicale, familiale ou ne serait-ce que "normale" avec autrui, au point que tous les autres êtres qui apparaissent dans le film (quasi uniquement des hommes) ne sont que des caricatures, des concepts, au premier rang desquels l'affreux producteur de télévision, totalement unidimensionnel, uniquement motivé par l'argent. Mais au fond, même Elisabeth/Sue n'est pas un personnage : elle n'a pas de sentiments, pas de profondeur, elle n'est qu'une pulsion - retrouver son apparence juvénile - et tout ce qui est humain lui est étranger. Il est frappant de constater à quel point le rajeunissement qui la frappe produit peu : en gros la jeune a du succès et ne veut pas redevenir vieille à mi-temps, et la vieille en est jalouse. Mais sinon, rien.


S'agissant enfin du mystère (mais tout va ensemble), les références à Shining, Vertigo et Mulholland Drive ne font que rappeler par comparaison que ce film en est cruellement dépourvu. Car il n'y a rien de The Substance qui n'échappe à son "message", que l'on a tôt fait d'identifier : l'homme cupide et concupiscent n'aime la femme que jeune et belle, tant pis pour les vieilles et les moches. Il ne s'agit pas de dire que le film se trompe ; oui ce message est pertinent, mais d'une part il est extrêmement convenu et éculé, et d'autre part un film ne saurait se réduire à un "message". Qu'est-ce qui fait le prix des œuvres de David Lynch ou Franz Kafka, si ce n'est l'insondable mystère, l'infini de l'interprétation dans lesquels elles nous plongent ? Un film n'est pas un tract ; mais il est à craindre que notre époque, trop occupée à penser comme il faut, ne confonde l'art et le militantisme, ou plutôt n'oublie que le beau est en soi militant face à l'injonction du spectaculaire, de l'audimat, que Mme Fargeat croit mettre en pièces mais dont elle ne fait en réalité qu'épouser les codes, avec son esthétique tape-à-l'œil et son goût immodéré pour le clinquant qu'un amoncellement de tripes et de sang ne suffit pas à faire oublier.

Neumeister
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le 20 nov. 2024

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