Voilà un film dont je dois parler sans savoir si j’en suis capable, car il me touche personnellement, et de près. En parler, c’est me mettre à nu car, comme Thomas, je m’isole du monde, à moitié par choix et à moitié par phobies, trouvant dans les écrans tout ce dont j'ai besoin. J'avais deux ans quand il est sorti et ça fait bizarre de pouvoir parler d'expérience d'un film qui se voulait quasiment une œuvre de science-fiction…
Le constat principal est néanmoins que le film de Renders est désespérément pessimiste. La visiophonie futuriste imaginée par le film pour Thomas, que l’agoraphobie a transformé en hikikomori forcé à vivre sa vie par les écrans, nous avertit sombrement sur les dangers d'Internet, n'imaginant pas que cela puisse apporter le moindre bien de "vivre par procuration". En cela, le film témoigne bien du scepticisme et de la crainte qu’inspirait (et inspire toujours) une technocratie en plein essor. Depuis, on a appris que la "virtual life", si crainte des "boomers" et qui semblait garantir l’abrutissement par les écrans de toute une génération à venir, n’est pas nécessairement l’impasse névrotique que rencontre le personnage, mais recèle aussi ses formes d’épanouissement.
Ceci dit, c’est justement la représentation de cette impasse qui fait du film une expérience poignante et un reflet saisissant de notre rapport à la technologie au tournant du millénaire. Thomas est captivant, qu'il s'agisse de sa voix, de ses choix, de sa confiance en lui ou de la façade qu'il a construite pour échapper au monde. Mon expérience du film est personnelle jusqu'à l’intime et m'a sûrement rendu·e très sensible à cette ambiance surréelle et pourtant familière mais, à voir comment il mêle une conscience psychologique aiguë à une immersivité sans failles, je ne m’étonne pas que le mystère de cet homme incapable de sortir de chez lui en fascine d’autres. Le film a sûrement épouvanté la génération de mes parents, qui avaient toutes les raisons d’y voir la fin probable de la société telle qu’ils la connaissaient. Or, tout sensationnalisme et tout catastrophisme mis à part, il voit juste, et c'est là que ça donne le tournis. Si l’on prend bien en compte que l’histoire est née d’une paranoïa sans nuances qui participe d’ailleurs à rendre l’expérience filmique incroyable, le film est absolument visionnaire, que ce soit technologiquement ou sociologiquement (il a senti venir la libération identitaire qui explose sur les réseaux ces dernières années, notamment), et ce n’était pas gagné d’avance vue la vitesse à laquelle le monde a changé en 23 ans.
Qu’auraient pensé mes parents si on leur avait dit en 2000 que l’histoire de Thomas allait faire écho à la mienne ? C’est en tout cas un gros coup de cœur, malaisant mais nécessaire, et j’éprouve de la gratitude : merci d’avoir réussi un film avec des acteurs si confiants et un scénario si visionnaire sur un sujet de niche qui me concerne. Cela faisait bien longtemps qu'une expérience cinéma n'avait pas été aussi intense pour moi.