3 ans après Tetsuo II, le cinéaste nippon Shinya Tsukamoto livre un nouvel uppercut cinématographique à son public avec un Tokyo Fist qui va continuer à mettre en exergue les obsessions destructrices et autodestructrices du réalisateur.
Tsuda, un salary man à la vie bien rangée qui partage son appartement avec sa petite amie Hizuru, croise par hasard un ancien camarade de lycée, Kojima. Ce dernier, boxeur semi-professionnel, va immédiatement éprouver une passion peu commune envers Hizuru qui va finir par quitter Tsuda pour une existence un peu plus tumultueuse. Fou de jalousie et blessé dans son amour propre, Tsuda va s'inscrire dans le club de boxe où s'entraîne Kojima. Une relation destructrice, malsaine et perverse va s'établir entre les deux hommes sous le regard pernicieux d'Hizuru...
D’un point de vue purement relationnel dans le cadre de rapports sociaux inégalitaires, la souffrance et le plaisir affectent en permanence l’expérience individuelle. De même, à l’échelle sociale globale, il est aisément convenu qu’il existe dans notre société autant de souffrance, d’aliénation, de discrimination, de ségrégation, que de moyens d’assouvir la quête insatiable de plaisir égoïste, de jouissance sans limite et de domination sadique. De ce fait, la philosophie, comme l’art dans ses manifestations contemporaines les plus audacieuses, éclaire sur la contiguïté des deux états psychologiques. Mais, du point de vue des sciences humaines, en quoi ces notions seraient-elles pertinentes, utiles à l’analyse ou à l’interprétation du vécu individuel, des relations interpersonnelles et des rapports sociaux ?
C'est cette question particulièrement perspicace que Tsukamoto évoque avec Tokyo Fist en suivant une ligne conductrice exemplaire depuis Futsû Saizu No Kaijin, court-métrage qu'il réalisa en 1986. En dépeignant le portrait de protagonistes et d'antagonistes qu'il hisse à la même hauteur, Shinya Tsukamoto aborde le fil narratif d'une histoire sordide, violente et névrotique tel un traitement psychanalytique. Car en matière de psychanalyse, souffrance et jouissance comme amour et haine ou encore tendresse et cruauté s’éprouvent dans une intrication physiologique, psychique, psychosociale et, prenant source dans l’ambivalence des pulsions de vie et de mort, se confondent ou s’inversent dans l’extrême de la sensation.
Eros et Thanathos, couple oxymore issu de la mythologie grecque, font ainsi irruption au sein de traditions japonaises sadomasochistes qui illustrent l'univers artistique de Tsukamoto. Dans le registre psychosociologique, souffrance et plaisir peuvent ainsi s’observer dans le cadre de relations sociales inégalitaires, au sein de structures pyramidales d’envergure restreinte ou large, notamment lorsqu’ils prennent le caractère trouble de l’obsession, du sadisme, de la frustration ou du ressentiment. Ils renvoient alors à d’autres couples de notions, plus sociologiques, comme celles de domination-dépendance, d’oppression-humiliation, etc. Ce sont visiblement toutes ces considérations qui ont inspiré et guidé la rédaction du script de Tokyo Fist, et plus encore celui de Bullet Ballet, film jumeau que Tsukamoto mettra en scène 3 ans plus tard.
Pour l'heure, c'est un point de vue familial que le cinéaste japonais propose ici (familial dans le sens littéral du terme puisque c'est le frère ainé de Tsukamoto qui interprète Kojima, l'ennemi juré et la part sombre de Tsuda, ce dernier étant incarné par le réalisateur). Relatant la mort du père, l'abandon familial et les névroses dues à l'aliénation sociale, Tokyo Fist aborde tout simplement la réappropriation et la naturalisation de notre humanité au sein d'un monde déshumanisé. Tout un programme.