Le roman de Simonin (paru en Série Noire/Gallimard) en 1953 fut adapté par Jacques Becker au cinéma dans la foulée. Simonin participa d'ailleurs à l'élaboration du scénario ; ce qui fait que les différences avec le roman qui comporte quand même plusieurs autres personnages (des flics notamment) sont forcément assumées. D'ailleurs, l'esprit du film étant conforme au livre, il n'y a plus rien à en dire.
Disons aussi que le film de Becker n'a pas l'ambition du livre (préfacé par Pierre McOrlan !) qui levait le coin du voile sur un milieu qu'on assimilait aux bas-fonds, à la pègre, à des gens peu recommandables. Simonin, comme le fera plus tard Coppola, fait un distinguo subtil entre les différents malfrats. Il y a celui qui fait dans le casse minable, se fait gauler, jette l'argent par les fenêtres quand il en a et il y a celui qui a – presque – pignon sur rue, qui est bien élevé, qui est respecté et en impose.
Dans les généralités, on peut dire (parce que je trouve ça amusant) que Jean Becker, le fils du réalisateur, participa à la mise en scène en tant que stagiaire … La bonne école.
Jean Gabin joue le rôle d'un gangster, Max le Menteur. S'il est surnommé Menteur, ce n'est pas une insulte, c'est juste pour dire qu'on l'admire à sa façon d'emballer les nanas, quelque soit leur pedigree, grâce à son boniment et à sa faconde. Et à sa encore jolie gueule …
Parce que comme je l'ai déjà dit, à cette période, Gabin n'est plus le jeune premier d'avant-guerre avec son regard qui chavire et sa voix tendre et n'a pas encore l'âge des flics cossus et revêches, des gros proprios obtus ou les gangsters de grande classe, méfiants comme pas deux. Il est dans sa période intermédiaire et se rend bien compte que l'emballage express des nanas risque d'être de plus en plus difficile. "Comme il a du chou", il commence à gamberger pour préparer ses vieux jours. D'ailleurs, il le dit à son copain Riton entre deux biscottes beurrées au pâté. "Non, mais regarde les valoches que tu te trimbales"
D'ailleurs dans la même catégorie, on va trouver Paul Frankeur (Pierrot), le tenancier de la boite (qui est un ancien claque) avec son épouse Gaby Basset (Marinette) : on est (presque) dans le commerce honorable …
Riton, "petit hérisson", le pote à Max ! interprété par René Dary. Personnage intéressant car Gabin aurait bien aimé le tirer vers sa catégorie (socio professionnelle) mais c'est peine perdue. Il reste le petit truand sans envergure. Sorti de la houlette de Gabin, il n'est plus rien.
Face à Jean Gabin, un personnage qui monte. Un petit malfrat, Angelo, qui tente de la jouer dans la cour des grands. Intelligent, le bestiau. Mais les dents longues ne suffisent pas à justifier le standing recherché. D'ailleurs, il suffit de voir le genre – minable - de ses seconds couteaux. Angelo, est aussi un personnage intéressant qu'endosse un Lino Ventura dont c'est le premier rôle au cinéma. Non, mais quelle présence et quel aplomb dans ses répliques !
Côté femmes, c'est pas mal du tout aussi.
Jeanne Moreau qui joue la protégée de Riton mais qui se sent des ailes pour aller voir ailleurs est excellente dans son jeu très ambigu.
Dora Doll, la jolie michetonneuse, protégée par Gabin, joue bien son rôle et son destin qui n'est pas d'accéder au niveau de Gabin.
Ou encore la mère Bouche (Denise Clair), patronne du restaurant où elle donnera toujours la préférence au monde de la grande et de la petite truanderie. Alors quand Gabin se pointe avec une greluche chopée dans la bonne bourgeoisie (une américaine distinguée qui s'encanaille délicieusement), c'est la fête.
Film intéressant, très bien mis en scène et superbement joué. Il illustre bien le roman.