Un des plus beaux mélodrames de Douglas Sirk et, peut-être, du cinéma.
L'histoire, en elle-même, est simple : une jeune veuve, aisée, Cary, qui a des enfants à l'entrée de l'âge adulte, s'éprend de l'homme jeune, Ron, qui lui taille ses arbres. Mais voilà, on est dans une petite ville américaine et la rumeur va bon train. Ses enfants s'opposent à ce que leur mère se remarie avec un homme plus jeune qu'elle et de surcroît d'une condition inférieure. Va-t-elle plier ou au contraire relever le défi ?
Mais c'est la mise en scène et les personnages qui vont faire le sel de cette histoire et faire que d'une histoire qui peut paraître à l'eau de rose, on atteigne le véritable chef d'œuvre tragique.
Le film oppose deux conceptions de la vie. D'un côté, la vie dans la cité avec ses règles de bienséance, sa facilité (surtout quand on est aisé), le bonheur (factice) qu'on peut trouver dans les relations mondaines (superficielles), le temps qui s'écoule agréablement et sans heurt entre un cocktail (fait maison) et une sortie au théâtre… De l'autre, une vie simple en prise avec la nature, plus difficile, où les choses se méritent, où tout reste à construire, où l'argent est certes utile mais pas une fin en soi. Bref, le superficiel face à l'authentique. D'un côté, le superficiel vire très vite à la méchanceté si ce n'est pas la malveillance. De l'autre, l'authentique se traduit par de solides et franches amitiés entre gens qui savent que la vie peut être rude mais qui savent qu'on peut aussi compter sur les amis.
Quelque chose qui peut passer inaperçu dans le film est le livre que prend en main Cary chez les amis de Ron, ouvrage qui la subjugue. Il s'agit du support théorique de la vie choisie par Ron et ses amis : "Walden ou la vie dans les bois" de Henry David Thoreau,publié en 1854, qui est un véritable hymne épicurien à la nature que j'avais lu il y a pas mal d'années, justement après avoir vu ce film. J'irais même jusqu'à dire que c'est aussi une façon de retrouver le fameux esprit pionnier américain en marge de la ville mais peut-être que je vais trop loin.
Un mot sur la mise en scène de Sirk avec une photographie absolument somptueuse de Russel Metty appuyée par une très douce musique, parfois presque cristalline de Franck Skinnen.
Les deux personnages principaux sont, de mon point de vue, très réussis.
D'abord, l'héroïne incontestable du film, c'est Jane Wyman dans le rôle d'une femme en proie à l'attirance et à l'amour d'un homme mais qui se trouve prisonnière des conventions sociales qu'elle n'ose pas briser de peur, peut-être, de perdre ses enfants. Sirk nous fait un portrait magnifique d'une simple et vraie femme pleine de doutes et de désirs.
Il y a une scène très belle qui est celle d'un soir de Noël où la caméra est à l'extérieur de la maison de Cary et filme une fenêtre de la maison derrière laquelle se trouve Cary. Comme la caméra est à l'extérieur, on bénéficie du bruit joyeux de la rue (chants de Noël, traineau avec des enfants heureux, …). La caméra se rapproche peu à peu de la fenêtre pour observer Cary, seule, qui regarde la rue à travers la fenêtre à petits carreaux, comme si elle était prisonnière derrière des barreaux, et qui retient à grand peine ses larmes. Bouleversant.
L'objet de l'amour de Cary (Jane Wyman) c'est l'inusable Rock Hudson dans le rôle d'un homme beau, jeune, viril, sûr de lui, bien dans sa peau dont on découvrira quelques blessures secrètes comme la guerre de Corée à l'origine de son choix d'existence.
"Tout ce que le ciel permet" est un excellent film, bouleversant, sur le chemin à parcourir pour s'affranchir des conventions sociales dès lors qu'on s'écarte des chemins balisés par la (ou une) morale.
Il est "presqu'amusant" et surtout révélateur de voir que l'alternative à l'amour proposée par la société bien-pensante, c'est … la télévision !