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Tracks, réalisé par John Curran, nous retrace l'histoire vraie de Robyn Davidson, jeune Australienne ayant entrepris en 1977, à l'âge de 27 ans, un périple solitaire (ou presque) à travers le désert Australien pendant 9 mois, sur une distance de 2700 km.
Ne passons pas par quatre chemins, Tracks est un bon film, mais un biopic un peu décevant si l'on s'interroge quelques temps sur la personnalité de la protagoniste principale. En effet, John Curran nous présente seulement la partie émergée de l'iceberg et se contente d'assurer un dépaysement (certes réussi) pour le spectateur, sans véritablement chercher à approfondir les motivations de Robyn, ou les enjeux réels de son voyage. Il reste avare et vague sur les informations, ne permettant pas de dresser un portrait très détaillé de cette "Camel Lady" (seulement quelques flash-back pourtant bien amenés, des citations et une voix off passagère pour nous aiguiller sur son état d'esprit initial), ce qui peut dangereusement conduire à des interprétations erronées de sa personnalité. On pourrait alors avoir le sentiment que ce périple n'est que le caprice d'une asociale un peu paumée, refusant sans aucune raison apparente de se "plier à la norme"; ce qui n'est absolument pas le cas. Au contraire, ce voyage initiatique est pour Robyn une aventure de l'esprit, une quête fortement intime et personnelle d'accomplissement et de liberté par le dépassement de soi. C'est une volonté de s'affranchir de l'obsession de prudence et de confort sécuritaire; s'affranchir du besoin familier d'obéissance aux codes pré-établis d'une société trop basée sur la possession, le paraître, les inégalités de chances, l'ignorance des peuples minoritaires et l'ethnocentrisme. Elle souhaitait avant tout être libre de se construire une réflexion personnelle exempte de toute suggestion extérieure, sur l'environnement dans lequel elle évoluait, en foulant ainsi une terre vierge de tout passage humain et en y laissant ses propres traces, sans marcher dans les pas d'un prédécesseur influent.
Le principal défaut du film se trouve donc, selon moi, dans le choix de son réalisateur de presque tout miser sur l'aspect esthétique, en laissant au second plan le traitement de son personnage (ce qui est dommage pour un biopic). Certes, de longs monologues explicatifs n'auraient pas été plus appropriés, mais un juste milieu aurait été appréciable. Certains éléments pourtant importants de la pensée profonde de la protagoniste sur cette société qu'elle tente de fuir sont un peu trop implicites, survolés et perdent alors de leur impact sur les spectateurs qui découvrent Robyn Davidson pour la première fois par le film.
Pour citer quelques exemples illustrant mon propos :
L'insulte furtive que Robyn adresse aux fermiers qui pointent sans raison un fusil sur elle, n'est pas gratuite; elle témoigne du profond dégoût qu'elle éprouve envers les armes et la grande brutalité de l'Homme, pour qui se battre et tirer au fusil devient une simple distraction.
Les scènes avec sa famille et ses amis avant son voyage témoignent des influences étouffantes et bruyantes que Robyn cherche à fuir. Ceux-ci, par peur pour elle, tentent ainsi de la dissuader ou de raccourcir son périple, l'empêchant donc de juger par elle-même de la légitimité de son expédition.
Le personnage de Rick Smolan semble être injustement détesté par Robyn pendant la première partie du film, toutefois, ce n'est pas lui qu'elle déteste, mais plutôt ce qu'il représente. A chacune de ses apparitions, cela renvoie Robyn au fait qu'elle ait accepté de se faire aider financièrement par un magazine; ce qu'elle considérait comme une sorte d' "auto trahison", lui enlevant une partie de son indépendance et rendant l'accomplissement moins intime et absolu.
Les scènes des touristes rencontrés pendant la traversée sont à remettre dans leur contexte pour mieux comprendre le rejet exprimé par Robyn vis-à-vis de ceux-ci. En effet, ils représentent l'essor du tourisme de masse dans les zones reculées d'Australie dans les années 70 et de l'utilisation des véhicules tout-terrain suréquipés. Les touristes encombrés sont donc incapables de s'imprégner correctement de l'environnement et totalement indifférents de l'endroit où ils mettent les pieds. Au même titre que la scène du motard (lui aussi ignoré par Robyn), qui peut paraître au premier abord inutile, mais qui finalement prend tout son sens puisque celui-ci n'est là que pour battre un record et ne gardera (le disant lui-même) qu'un souvenir flou de sa traversée désertique.
Bref, tant d'exemples de choix narratifs parfois maladroitement exposés, qui, si mal interprétés, peuvent desservir totalement la compréhension du personnage de Robyn, la rabaissant à une simple marginale au comportement hautain et aux airs supérieurs, incapable de vivre en société et nourrissant un dégoût du genre humain dans sa globalité (incluant même ses proches). Ce ne sont pourtant pas les individus qu'elle cherche à fuir, mais plutôt les images qu'ils lui renvoient, souvent inconsciemment, d'elle même et de la société.
De plus, si je peux reprocher à Curran de n'être pas assez explicite, je peux également lui reprocher de parfois l'être trop. Au lieu de suggérer certaines choses juste par l'image et le jeu d'acteur (par exemple, l'hésitation de Robyn à respecter les usages des autochtones), Curran remontre ce qui a déjà été vu et entendu (explications de l'aborigène: "Les femmes ne doivent pas briser les lois"), sous-estimant ainsi la capacité réflexive du spectateur.
En outre, les musiques sont plutôt bien choisies et s'accordent élégamment aux images, mais deviennent parfois trop présentes dans des scènes où une confiance dans l'efficacité émotionnelle du silence désertique aurait été plus appréciable.
Toutefois, malgré des aspects esquissés de ce qui aurait dû être un récit plus personnel, cela ne m'a globalement pas empêché d'apprécier Tracks, je ne me suis absolument pas ennuyé et j'ai trouvé les grandes étendues Australiennes sublimement retranscrites par la caméra de John Curran, transportant le spectateur sans trop de difficulté. Le plus gros point fort du film étant selon moi l'interprétation sincère et impliquée de la très talentueuse et rayonnante Mia Wasikowska, qui n'en finit décidément pas de m'impressionner dans ses rôles toujours très différents. Ayant, à seulement 26 ans, déjà tourné avec les plus grands (David Cronenberg, Park Chan-Wook, Guillermo Del Toro, Gus Van Sant, ou encore Jim Jarmusch), elle est promise à une très belle carrière et tend à être de plus en plus présente dans le paysage cinématographique, ce qui n'est pas pour me déplaire.
En somme, bien que souffrant, selon moi, de maladresses narratives l'empêchant de retranscrire correctement la vraie psychologie complexe du personnage principal, Tracks n'est pas un échec. C'est une réussite visuelle incontestable; un film apaisant qui mérite amplement que l'on s'y attarde, simplement pour se rendre compte que sous ses allures de film superficiel se cache une véritable volonté de rendre hommage le plus honnêtement possible à ce qui a été pour Robyn Davidson une nouvelle naissance; un avènement lui permettant l'accession à un nouvel état de conscience non pas supérieur, mais simplement plus humain.