Une scène du début du film, montrant des retraités manifestant pour une revalorisation de leurs acquits sociaux et l’arrivée d’une milice policière les repoussant comme une sorte de rouleau compresseur faisant totalement fi de leurs revendications, tout en les méprisant, est extrêmement significative d’une société déliquescente et obscène qui n’a malheureusement toujours pas évoluée et se solde par un terrible constat d’abandon et surtout de délitement de la grandement noble notion d’humanisme.
Vittorio De Sica, l’un des chantres du néo-réalisme italien, s’approprie ce sujet difficile et dresse le portrait émouvant et terriblement fataliste d’un homme laminé par l’abandon et le total désintérêt d’une société basée sur le profit et surtout l’ignominie éminente que représente l’individualisme. Cette notion nombriliste qui détruit nos sociétés encore aujourd’hui. Regarder s’effondrer l’unique valeur nous différenciant de l’animal dans la plus totale indifférence, tout en obnubilant le fait que notre tour viendra.
Avec une mise en scène emprunte d’un grand modernisme et intrusive au possible, il suit les déambulations de ce vieil homme et son unique compagnon, un petit chien au regard intelligent, pour reprendre ses termes. Le but du réalisateur n’est certainement pas de faire pleurer dans les chaumières, même si certains trouveront dans sa démonstration de tire-larmes une volonté voyeuriste ou un véhicule auto déclencheur de sentiments faciles, probablement que ces derniers sont déjà dans ce fameux repli individualiste confondant émotion et dévotion. Comment ne pas ressentir d’empathie non seulement pour cet homme au firmament de sa vie mais aussi pour son sort, cette immuable implacabilité qui continue à ronger nos sociétés. En cela le film de De Sica est d’une grande modernité car toujours dans l’air du temps.
Après la condition ouvrière abordée dans son chef d’œuvre de sensibilité et de justesse qu’était l’extraordinaire Voleur de Bicyclette, ce grand réalisateur humaniste, - Attention : cri de guerre - bordel de bordel qu'il manque aujourd'hui de cinéaste de cet acabit, où sont les De Sica, les Kurosawa...? - , touche ici, avec une grande justesse de ton, un thème crucial qui va finir par nous anéantir, avec toujours un souci d’éclairer sa mise en scène d’une incroyable aura teintée d’humanisme et de réalisme brut. Qui peut rester insensible non seulement au destin de cet homme, mais surtout à l’ignoble fatalisme de sa condition ?