C'est ma première critique sur ce site, et le film que j'ai choisi est loin d'être le plus simple à critiquer, à plusieurs niveaux:
d'abord le sujet: le calvaire d'une femme venue d'Afrique, exhibé en Europe et exploitée à des fins mercantiles et idéologiques jusqu'à sa disparition tragique et prématurée.
si le malheur des uns ne fait pas forcément le bonheur des autres, quand on a nos propres soucis à gérer, difficile de s'intéresser à ceux des autres.
le film: réalisation sobre et froide à première vue, proche du documentaire, certaines séquences rappellent l'émission belge Strip Tease, diffusée sur France 3. l'histoire est portée par des acteurs débutants, inconnus (en dehors de Gourmet, et quelques habitués de secondes rôles au visage vaguement familier).
pendant près de 3h, nous plongeons dans l'intimité de cette femme vivant dans une époque particulière. Epoque particulière où l'exploitation de l'homme par l'homme prend un nouveau tournant: à l'aube de la révolution industrielle et de la naissance du monde moderne, la communauté scientifique prend le relais de l'Eglise dans la justification de l'inégalité des races, et la consolidation de préjugés racistes dans l'inconscient collectif. sans oublier qu'il s'agit d'une époque où la femme et considérée comme inférieure à l'homme. ajoutés à cela des personnages complexes, éloignés du rapport manichéen gentils contre méchants vous obtenez une histoire sans concession qui dépasse le rapport bourreau/victime et nous prive du super héros sauveur garant d'une happy end.
Bref, rien n'est fait pour charmer, rassurer, réconforter le spectateur, et faire du film un divertissant spectacle.
doit-on le fuir pour autant?
tout le monde sait à quel point il est désagréable de passer entre le mains de notre dentiste. Pourtant, aller chez son dentiste garantit à nos dents une bonne santé.
vu sous cet angle, le film s'apparente à un instrument de torture aussi attirant que peut l'être un bistouri. Mais le talent de Kechiche fait la différence: cette capacité à capter les rapports humains dans leur grande complexité. à travers les dialogues, la façon subtile de filmer une expression de visage, un échange de regard.
Il prend la responsabilité de transformer le spectateur tour à tour en témoins passifs, voyeurs, révoltés, pendant de longues et pénibles séquences. mais tout en ravivant notre malaise et notre empathie, il nous rappelle à l'ordre: nous sommes capables de réaliser de grandes choses et être animés des plus beaux sentiments. Mais nous pouvons être également auteurs et complices de cruelles injustices. Le film nous met face à notre nature humaine dans toute son épaisseur et nous renvoie à nos responsabilités: face aux injustices, et aux inégalités subies par autrui, nous pouvons choisir de tourner la tête. Mais gardons à l'esprit le poids d'une telle décision. Ces éléments font de Vénus noire un film intemporel, trouvant tout son sens dans notre histoire passée et actuelle.
A l'ère de l'hypermédiatisation, l'ombre de Saartje Baartman est omniprésente: quand des "volontaires" triés sur le volet sont exhibés dans un loft pour divertir les uns et enrichir les autres, quand des pseudos stars jetables sont exploitées avant d'être jetées aux oubliettes sans que personne ne se soucie de leur devenir, quand des personnalités médiatiques sont clouées au pilori pour satisfaire notre besoin naturel de se défouler nous revoilà face à ce triste constat: nos faiblesses, notre vulnérabilité deviennent plus que jamais objet de spectacle.
Pour Saartje Baartman, pour les victimes du monde moderne, faisons l'effort de tenir tête à l'indifférence, restons profondément Humains!
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