Walden, ou lavis dans les bois. Rien de sensationnel, du pastel, du pastel. Mekas nous fait son invitation au voyage sans bouger, ou presque, de New York. Songe à la douceur…
C'est d'un journal intime filmé (cinema is light, movements, frames) dont il est question. Filmé beaucoup. Intime très. De toutes petites choses sans importances qui défilent comme défile de longues minutes la parade d'un cirque de quartier. Comme défilent les saisons. Comme défilent les mariages, les naissances, les nuits et les jours pendant quatre ans, sans que rien ne justifie intrinsèquement que l'auteur choisisse un moment plutôt qu'un autre. Le sens de tout ça, c'est le sens du temps qui passe, d'arrière en avant, inexorablement.
On commence par se poser beaucoup de question, forcément. On essaye de trouver des raisons, des explications, des métaphores. Trop habitués sans doute à la machine fictionnelle censée livrer à nos cerveaux inquiets de la matière à penser. Mais par petites touches discrètes, l'étrange voix de Jonas nous rassure et nous berce. Il faut faire taire l'incessant questionnement pour se tenir les yeux ouverts face au monde, et à ses images. Si le miracle doit se produire, il n'a pas besoin de notre intelligence déductive, mais de notre silence inductif face au mouvement du monde. C'est une ascèse, un travail d'humilité, une nécessité de patience, qui doit sembler bien étrangère à nos contemporains si pressés, à en croire le nombre de défection au cours des trois heures de projection.
Pourtant ! pourtant plus s'imposent les images de tous ces êtres présents devant la caméra avide du diariste, plus se dessine l'étonnante tragédie de l'existence, qui ne se construit que sur l'absence. Plus on en voit, de toutes ces rues, de tous ces corps, de tous ces mouvements, et plus ce qui nous frappe c'est la force brutale de ce qui n'est plus là. Les fantômes gagnent toujours. C'est à ce moment là que le cerveau vaincu laisse enfin les yeux se repaître de beauté pure. Divin lâcher-prise, Jonas l'air de rien, avec sa tête de clown et son accordéon désaccordé, est arrivé au plus beau des tours de force. Un tour de force finalement politique, dans le sens profond du terme : un acte de résistance face aux démons capitalistes qui au coeur de ces années 60 enserrent déjà de leur main de fer le Nouveau Continent. Et comme son lointain homonyme, nous ressortons du ventre de la Baleine tout autre que nous y étions rentrés. Lavés. Et mélancoliquement heureux.