Plombé par un scénario fortement limité, Wet Season peine à séduire durant sa longue heure et demie. Une succession de scènes auteurisantes dont l’inspiration à peine dissimulée sur d’autres cadors du cinéma asiatique aura de quoi laisser dubitatif.
Pourtant le film avait de quoi faire avec un matériau de base potentiellement fertile en réflexions : une femme malaisienne dans la quarantaine, mariée à un Singapourien, tentant désespérément d’avoir un enfant avec lui malgré son infidélité et enseignant le chinois, langue dévaluée au sein de la cité-État.
Or l’apparente richesse du synopsis n’est jamais exploitée à sa juste valeur. Tout juste est-elle furtivement approchée au détour d’une réunion de travail ou d’un flash info télévisé. Un traitement bien trop superficiel pour révéler les tensions ayant cours dans la société singapourienne à propos de l’identité multiculturelle de l’île par exemple.
Point de critique sociale donc, et c’est dommageable puisque ce qu’il reste à se mettre sous la dent est bien maigre. La réalisation tente tant bien que mal de se donner des airs de Tsai Ming-liang ou de Weerasethakul, sans jamais approcher la maîtrise de ceux-ci. La faute à une esthétique en berne et un filtre grisâtre particulièrement gênant. On eût aimé un travail un peu plus inspiré sur l’alternance entre phases de pluie et phases d’éclaircies (à la manière des Rebelles du dieu néon par exemple), une recherche plus poussée sur la façon de filmer l’environnement urbain (style Vive l’amour ou Syndromes and a Century), ici curieusement raboté au strict niveau du sol. Un comble quand on sait le potentiel esthétique de la magnifique skyline singapourienne.
La romance, qui apparaît comme le principal argument de vente du film une fois épuisée sa fade épaisseur symbolique, peine elle aussi à convaincre. L’héroïne est certes bien mise en valeur mais ce n’est pas le cas du jeune Wei Lun dont on ne sait pas grand-chose en fin de compte. Le même reproche peut être fait au personnage d’Andrew, businessman de nationalité singapourienne, sur lequel Anthony Chen échoue à faire naître ne serait-ce qu’un début de critique sociale.
Un point positif est à trouver toutefois du côté du grand-père, figure muette et infirme qui ne vit qu’à travers le regard qu’il porte sur les autres. Hémiplégique (tout du moins c’est ce qu’il m’a semblé), il incarne une sorte de réceptacle de la mémoire chinoise en voie de disparition sur l’île. Amateur de wu xia pian (films de sabre chinois), il paraît retrouver temporairement goût à la sociabilité dont il est tenu exclu par sa condition en aidant Wei Lun dans ses devoirs de mandarin. La scène où il trace avec son doigt sur le bras de Wei Lun l’idéogramme « aider » est plutôt bien trouvée et touchante.
De tous les personnages, Ling, l’héroïne, est la plus sous-exploitée. Porteuse en elle de multiples questionnements sur l’identité singapourienne, elle en est finalement réduite à l’état de simple catalyseur du mépris marital, prétexte à accélérer l’infidélité qu’elle s’apprête à commettre avec Wei Lun. Car Chen ne fait pas dans la subtilité. Ses personnages, notamment Ling et son mari Andrew sont quand même très stéréotypés et ne parviennent pas à susciter la moindre émotion à mesure que l’amourette de Ling et Wei Lun prend forme. On pourra même s’étonner de voir une telle aridité dans le traitement de l’histoire d’amour, qui est comme cantonnée aux seules institutions qu’elle traverse (l’hôpital, l’école, l’avocat pour divorcer). Cette bravade manque cruellement de fougue, d’érotisme, de chair.
Mécaniquement, l’attachement aux deux protagonistes est fortement limitée et ne passionne guère. Le cadre scolaire de la rencontre a déjà de quoi rebuter pas mal de gens (dont je fais partie), mais c’est bien le manque d’engagement de part et d'autre qui foudroie la romance en plein vol. Chen a peut-être tenté de reproduire une relation à la Kim Ki-duk dans Locataires, mais c’est tout aussi raté que le matériau original.
On ne comprend pas bien où il veut nous emmener et la navrante simplicité du dénouement vient un peu plus renforcer l’idée qu’on n’est pas là en face du nouveau prodige du cinéma asiatique. Tout au plus un réalisateur mineur auquel un prix à Cannes à assuré un certain capital sympathie en Occident. Mais Singapour va devoir encore attendre avant de se trouver son Weerasethakul ou son Hou Hisao-hsen.