Braid
7.7
Braid

Jeu de Jonathan Blow, Hothead Games et Number None (2008PlayStation 3)

On en a tous des jeux comme ça…
Je parle de jeux qu’on n’a pas vu passer – pour une raison, ou pour une autre – au moment de leur sortie. Et puis soudain, bien plus tard, on en entend parler une fois, puis deux, puis dix.
A chaque fois, ce qu’on nous en dit contribue à attiser encore davantage notre curiosité jusqu’à ce que ça nous donne envie de passer à l’acte.
L’air de rien, j’en ai quand-même connu quelques-uns des jeux comme ça ; des jeux pour lesquels j’ai eu d’autant plus de difficulté à satisfaire mes envies que j’ai une capacité assez sidérante à me refiler des handicaps, tels que ma crispation encore assez tenace à l’égard de la dématérialisation, des consoles connectées ou bien encore de l’installation de jeux sur mon PC. (Oui, je sais…)
C’est ce qui explique pourquoi il m’a souvent fallu attendre des années entières pour satisfaire mes envies de jeux tels que Limbo, Super Meat Boy, Fez, Hotline Miami, The Stanley Parable ou bien encore plus récemment The Witness
…Jusqu’à ce qu’il ne m’en reste plus qu’un pour nourrir mes fantasmes contrariés.
Braid.


Quand on s’intéresse à l’histoire et à l’évolution de la scène vidéoludique, on en arrive forcément à entendre parler un jour de Braid.
Braid, c’est le premier jeu de Jonathan Blow ; l’homme à qui on devra par la suite le fameux The Witness (justement) ; un jeu dont on peut considérer qu’il est encore aujourd’hui l’un des fleurons les plus originaux de la scène indé. Voilà qui permet déjà de saliver…
…Mais Braid c’est aussi et surtout l’un des premiers titres notables de cette vague de jeux indé qui jaillira grâce à l’émergence des plateformes de téléchargement du début des années 2000 ; un titre d’autant plus notable du fait qu’il initiera avec quelques autres cette dynamique consistant à abandonner sciemment les standards de l’industrie de l’époque en termes de performances techniques et visuelles au profit de l’originalité et l’expérimentation.


Or Braid c’est exactement ça. C’est un plateformeur 2D d’allure très classique et qui, à première vue, pourrait presque donner l’impression d’être un contemporain de Rayman premier du nom, pourtant sorti dix-sept ans plus tôt.
Seulement voilà, là où Braid entend se distinguer de la formule habituelle, c’est qu’il ne se joue justement pas comme un plateformeur 2D classique. L’enjeu ici n’est pas d’enchainer les tableaux de long en large en sachant franchir les multiples obstacles présents sur notre chemin. Non, ici le final de chaque tableau est purement anecdotique. L’objectif consiste plutôt à collecter des pièces de puzzles pour ensuite les assembler et ainsi avancer également dans l’intrigue.


Et là où le jeu entend une nouvelle fois se distinguer de la formule classique c’est que, pour arriver à notre fin, il ne faudra pas seulement jouer avec la mécanique du saut mais aussi avec la mécanique du rembobinage
…Car oui, dans Braid, vous pouvez rembobiner à l’envie votre progression. Le souci c’est que tous les éléments de chaque tableau ne réagissent pas forcément tous de la même manière à ce rembobinage et il faudra justement savoir le prendre en considération pour déjouer toutes les énigmes.


Alors oui, c’est vrai, cette originalité de Braid, on peut clairement la discuter, y compris dans son contexte de sortie de 2008.
Collecter des objects pour finir un tableau de plateformeur plutôt que d’atteindre un point défini, c’était déjà quelque chose qu’on pouvait en partie retrouver dans Super Mario 64 sorti douze ans plus tôt. On pourrait même remonter – en étant taquin – jusqu’à l’horrible Fantasia de 1991 sur Megadrive pour retrouver ce genre de mécanique-là.
Côté rembobinage, ce n’est pas non plus une nouveauté pour l’époque. Blinx, the Time Sweeper le faisait déjà en 2002 sur Xbox, suivi un an plus tard par le fameux The Prince of Persia : the Sand of Time d’Ubi Soft.
Bref, rien de novateur pourrait-on se dire. Et pourtant, je trouve que Braid a su en tirer une formule singulière ; une formule qui le distingue et l’identifie encore aujourd’hui ; une formule qui tient pour moi à l’association inattendue de trois éléments : énigme – dextérité – narration.


Quiconque a déjà joué à The Witness ne sera pas surpris si je vous dis que c’est le premier élément qui se distingue rapidement de ce Braid : l’énigme.
C’est même assez sidérant comme le jeu se montre expéditif d’entrée par rapport à ça. A peine le jeu est-il installé qu’on arrive sur un écran-titre austère et figé qu’on ne peut que vouloir passer dans l’instant. Et là, sitôt la chose faite qu’on est déjà dedans : on a à peine avancé dans un couloir et franchi une porte que la première interrogation survient : « monde 2 ».
…Pardon ?
…Monde 2 ? Il y aurait-il une porte que j’ai déjà loupée ?
Demi-tour. J’observe, je saute partout. Bah non. Pas d’autre destination possible que cette foutue porte. Alors soit. Commençons par le monde 2.
On entre. Trois livres nous attendent. En passant devant, du lore s’affiche. Il suffit de s’éloigner pour qu’il disparaisse. Des histoires de Tim et de princesse, rien de bien intéressant. Le jeu lui-même semble nous inviter à tracer tout droit pour expédier tout ça. C’est ainsi qu’en moins de cinq minutes montre en main on se retrouve face à notre premier défi. « Trois faciles pour commencer, » nous dit-on.
Tout est dit en somme.


Comme pour The Witness on part d’une base très simple avant de s’en aller dans des trucs bien tordus…
…Et j’avoue que ça a été très vite prenant.
J’adore ces jeux qui savent aller à l’essentiel, et Braid fait incontestablement parti de ceux-là. On ne s’attarde pas plus que de raison. On ne parle pas plus que de raison. Ce sont les mécaniques de jeu qui vont nous guider, étape après étape.
Les stages sont courts. Les énoncés sont clairs. A chaque étape on sent qu’on franchit un palier et qu’il va falloir deviner lequel.


En cela le jeu sait très vite alimenter notre émulation. Une émulation qui est d’autant mieux alimentée qu’assez rapidement, le jeu va y intégrer une notion de dextérité.
Comprendre quoi faire ne suffit très vite plus. Après il faut être en mesure de le faire.
Et là où cette équation fonctionne d’autant mieux c’est que la seconde donnée conditionne parfois la première. Chercher une solution questionne sa faisabilité. Questionner la faisabilité oblige à tester. Tester amène dès lors à nous interroger : est-ce qu’on n’y arrive pas parce qu’on n’a pas encore chopé le coup ? Parce qu’on s’y prend mal ? Ou bien parce qu’on s’est gourré sur la manière de faire ?


Sur cet aspect-là, le jeu sait vraiment se faire très grisant, d’autant plus qu’il n’est pas du genre à délayer et décliner. Sitôt a-t-on résolu une énigme que celle qui nous attend juste après ne se contente pas de simplement en décliner une nouvelle fois le principe. Non, elle nous fait directement passer à un palier supplémentaire.
En cela je trouve d’ailleurs que Braid dispose d’un très bon ratio longueur / difficulté. Le jeu n’est vraiment pas bien long. Six mondes seulement. Seize pièces à collecter par monde. Ça nous est annoncé d’emblée ce qui nous permet de comprendre que, si on se débrouille bien, on n’en aura pas pour longtemps.
C’est ce qui a fait que, pour ma part, je n’ai senti aucune frustration à buter longuement sur certaines pièces. Et comme chacun des six mondes est régi par des mécaniques différentes – et que ceux-ci sont assez rapidement accessibles – ça nous permet clairement de switcher de l’un vers l’autre, selon notre plasticité intellectuelle du moment.
Parfois on bloque sur une pièce, on bascule sur une autre énigme, on bloque à nouveau, et c’est en revenant ensuite sur la première que, prenant la chose selon une nouvelle fraicheur d’esprit, on trouve la solution.
Pour moi c’était là une sensation très grisante, et loin d’être anodine sur un jeu aussi mobilisant intellectuellement.


Seulement voilà, Braid n’est pas non plus exempt de tout reproche.
Jonathan Blow oblige, j’ai retrouvé à la fin de ce Braid le même problème que j’avais rencontré à la fin de The Witness : au bout d’un moment ça part trop loin.
Ça part trop loin parce que, même sur le premier tronçon de jeu menant à la première fin, certaines solutions impliquent la mobilisation de nombreuses techniques qui, par le caractère concentré de notre partie, peuvent parfois être mal transmises aux joueurs.


Ça a été le cas par exemple me concernant par rapport aux commandes de modification de vitesse de rembobinage. Je savais qu’on pouvait rembobiner plus vite, mais je n’avais pas compris que je pouvais carrément arrêter le temps… Ce qui, pour l’accomplissement d’une énigme en particulier, est pourtant indispensable à savoir.


Parfois c’est le manque de permissivité du jeu qui m’a empêché de résoudre une énigme alors que, pourtant, j’avais eu la bonne intuition !


Là je cible clairement cette énigme finale du monde 2 où il fallait se servir des pièces du tableau pour faire tomber le monstre qui devait nous servir de tremplin pour l’obtention de la pièce finale.
Bien évidemment, la première fois où je tombe là-dessus, je ne trouve pas la solution et je passe au monde suivant. Mais par contre, quand je suis revenu à cet endroit-là en fin de partie, j’ai fini par me douter qu’il devait y avoir un truc tordu dans le genre. C’est là que j’ai vu la pièce sur laquelle était dessinée un semblant de passerelle. C’est là que j’ai eu l’intuition de tenter ce qu’il fallait tenter. Seulement voilà, parce que le jeu a estimé que je ne l’avais pas posé au millimètre près là où il le fallait, le coup n’a pas fonctionné. Je me suis alors dit que ce ne devait pas être la solution. Je suis passé à autre chose. A tort.


Plus grave enfin, il arrive même parfois que le jeu transige avec ses propres règles.


Je pense notamment à cette phase de boss qui consiste à lui décrocher des lustres sur la tronche. Dans la deuxième version de ce combat, remonter le temps pour reconstituer le lustre annule le coup asséné, ce qui nous empêche dès lors d’infliger les cinq coups nécessaires à notre victoire. Alors certes, dans cette deuxième version, on dispose du pouvoir d’ombre pouvant accomplir à nouveau nos actions après chaque rembobinage. Mais même en étant très habile, faire tomber les deux lustres plus les deux ombres de lustres ne permettent que quatre impacts. Du coup là j’ai longuement séché et j’ai fini par consulter une soluce.
Quelle était la solution ?
Il fallait détacher le lustre puis rembobiner tout aussitôt pour le reconstituer. A ce moment là l’ombre s’activait et détachait à son tour l’ombre du lustre qui… Elle s’écroulait jusqu’au sol et frappait le boss.
Eum… Comment dire… Bah non…
Si le lustre original ne tombe pas, l’ombre ne devrait pas tomber non plus. Non ?
Et si l’ombre de notre avatar n’agit que sur la sangle du lustre, alors dans ce cas ça devrait être le lustre tout entier qui devrait tomber. N’est-ce pas ?
Là, je suis désolé, mais la logique édictée par le jeu lui-même ne me semble pas respectée.


Dans ces trois cas, il m’a fallu avoir recours à des soluces pour trouver le fin mot de l’histoire. Or moi, le recours à la soluce, je considère ça comme un aveu d’échec. Un échec personnel parfois. Davantage un échec du jeu ici…


Et franchement, ça la fout mal ce genre de tare dans un jeu aussi original et bien pensé.
Je ne peux m’empêcher d’y voir – comme pour dans The Witness – un excès d’ambition. Presque de la vanité de la part de son auteur.
On sent déjà dans ce Braid cette idée que son jeu est un jeu pour les « vrais » ; à comprendre un jeu qui se mérite ; à comprendre un jeu auquel on doit se donner abusivement pour le finir.
…Et ça je trouve ça juste con.
Con parce que ça pousse le jeu à la faute (rf. Ma deuxième bande spoilers).
Et puis surtout con parce que je ne considère pas avoir mieux profité du jeu en ayant rôté inutilement du sang dessus.
C’est même tout l’inverse.


D’ailleurs, cet aspect excessif et vaniteux du jeu, c’est aussi celui qui, pour moi, saborde en grande partie le troisième pilier sur lequel l’équation de Braid reposait et qui aurait pu (ou dû) en faire un chef d’œuvre d’exception. Et ce troisième pilier, c’est la narration.
C’est le point sur lequel s’attardent tous les plus grands thuriféraires de ce jeu et – je le reconnais – pas totalement à tort.
C’est vrai qu’il y a là une belle audace – et surtout une belle malice – dans la manière dont Jonathan Blow a su traiter cet aspect. Parce que – rappelez-vous – au premier abord, ce jeu donne vraiment l’impression de ne se focaliser que sur ses mécaniques de gameplay et ses énigmes. L’histoire est expédiée par des pages de lore que ne semblent être là que pour être ignorées ; de même que les tableaux à reconstituer donnent l’impression d’être des illustrations random sans réelle intentionnalité.


Seulement voilà, à force d’enchainer les mondes, on est aussi amené à enchainer les pages de lore, et pour peu qu’on sache se montrer un brin curieux, on en vient forcément à se demander s’il n’y a pas là-dedans une autre énigme au-delà des énigmes.
Car si au départ on nous parlait de Tim, de « princesse » et de « monstres maléfiques » – ce qui n’était pas sans rappeler le canevas classique et transparent d’un plateformeur Nintendo – voilà que, progressivement, on bascule vers des « besoins d’indépendance », des « insécurités ressenties »*, et un *« espoir de sécurité », tout ça mêlé de « repas de famille chez les parents », de « terrasses de café » et de « public de cinema ».
Pour peu qu’on s’interroge à son égard, Braid semble avoir quelque chose à nous dire. Alors on ausculte les tableaux, les décors, les mécaniques, et on cherche les liens qui se tissent entre eux. Très rapidement on comprend qu’il existe une strate de narration qui nous échappe.
N’a-t-on pas commencé ce jeu par le monde 2 ?


L’idée est géniale. Le fait qu’un jeu d’allure simpliste et innocente au premier abord nous amène dans un second temps à prendre conscience que toute une trame était là depuis le départ – pour ne pas dire une natte, histoire de rebondir sur le titre du jeu – mais qu’elle nous ait échappé faute d’attention, c’est tout aussi saisissant que de prendre du recul sur une toile monumentale et se rendre compte qu’elle figurait tout autre chose qu’on s’imaginait initialement. Pour le coup, Jonathan Blow ne s’y sera pas trompé puisque c’est un principe qu’il saura réinvestir dans son The Witness quelques années plus tard.
Seulement, là où le bât blesse par rapport à cette trame, c’est que dans Braid, cette natte, elle est clairement tirée par les cheveux… Ou pour le dire autrement, le problème avec cette trame de Braid c’est qu’elle s’amuse à juxtaposer les strates de narration cryptique sans se soucier un seul instant si toutes ces strates parviennent à dialoguer entre elles…
…Parce qu’autant je peux trouver habile d’avoir cherché à partir du cliché éculé de Mario et de sa princesse pour le faire transiter progressivement vers un vraie histoire d’amour malmené et de quête de retrouvailles – allant même jusqu’à mêler quelques mécaniques du jeu à la thématique traitée, comme c’est le cas avec cette idée de vouloir revenir dans le temps pour refaire les choses au mieux, ou bien encore user d’items qui, tel l’anneau, tend à figer le personnage – que je trouve cependant que le jeu craque totalement sitôt il entend se présenter, lors de sa fin véritable, en allégorie de…


…l’invention de la bombe atomique par Robert Oppenheimer.


Cette strate de narration finale là, elle est certes audacieuse, mais elle est totalement craquée.
Et je précise pour celles et ceux qui ont lu la bande spoiler mais qui n’auraient pas fini pour autant le jeu dans son intégralité : oui, on parle bien de ça. Aucun doute possible. Et si vous doutez, voici la rentranscription de la dernière bribe de lore laissée à celles et ceux qui se seront risqués à finir totalement le jeu.


« Il étudia attentivement la chute d'une pomme et le mouvement de globes en métal suspendus à un fil. Grâce à ces indices, il allait trouver la Princesse et voir son visage. Après une nuit de bricolage intensif, il s'agenouilla derrière un bunker en plein désert. Il protégea ses yeux d'un verre de soudeur et patienta. Ce moment semblait durer une éternité. Le temps s'était arrêté. L'espace s'était contracté en un point minuscule, comme si la Terre s'était ouverte et les cieux s'étaient déchirés. Il se sentit très privilégié, comme s'il avait assisté à la naissance du monde... Quelqu'un près de lui s'exclama : "Ça a marché." Un autre : "Maintenant, nous sommes tous des bâtards." »


A en lire certains, cette trame cachée-là, ça a été un coup de massue. Ça a été pour eux la preuve ultime qui avaient affaire là à un jeu brillamment pensé et dont la profondeur discursive n’avait eu d’égal que la malice vidéoludique avec laquelle celle-ci avait été dispensée…
…Or sur ce point, autant je peux comprendre la réaction initiale, autant je trouve qu’il faudrait aussi savoir redescendre un peu sur Terre, parce qu’avec un peu de recul, elle n’est pas si géniale que ça cette trame…
…Pire, je la trouve un peu boiteuse, facile et surtout relevant d’un état d’esprit que j’apprécie peu en jeu vidéo comme dans n’importe quel art : l’enfumage.


Premier problème de cette strate, c’est qu’elle ne résiste pas trop à une analyse poussée de l’œuvre.
C’est sûr que si on se limite seulement à la relecture du lore on peut se dire : « Ah ouais, effectivement, je la vois bien la lecture allégorique-là. Bien ouèj. »
Pareil, il y a bien deux ou trois symboliques qui se raccordent pas mal à ça, comme le jeu avec le temps, l’usage de l’anneau, voire l’arrière-plan du monde-hub. Soit…
…Mais et le reste ?
Pourquoi le choix d’une maison de peintre ?
Pourquoi cette esthétique impressionniste pour les toiles ?
Pourquoi cette direction artistique toute colorée ?
Pourquoi cette musique de répondeur à base de violons mielleux ?
Pourquoi ce personnage à grosse tête et en culotte courte ?
Pourquoi les lapins qui miaulent et les grosses têtes qui couinent ?
Pourquoi Tim ?
Tout ça a un côté « allégorique quand ça m’arrange », si bien que ça donne l’impression qu’en modifiant seulement quelques détails superficiels, on aurait très bien pu insérer dans ce jeu une allégorie de tout ou n’importe quoi, pour peu que ça ait la classe.
En fait, et à bien tout considérer, Braid n’est pas cryptique pour mieux révéler. *Braid***est cryptique juste pour **mieux se la raconter.


Petite question d’ailleurs à celles et ceux qui ont fini ce jeu jusqu’à sa « vraie » fin : est-ce que vous avez l’impression que Braid vous a donné à voir différemment le sujet dont il parlait secrètement depuis le début ?
Moi non. Au contraire, j’ai davantage l’impression que ça a été glissé là artificiellement pour donner au jeu une épaisseur discursive qu’il n’a en faite pas.
De l’enfumage de gens qui se veulent intéressants, en somme…


Alors vous allez peut-être me répondre à ça : « bon d’accord, mais ce n’est pas si grave au fond. Ce n’est que de l’enrobage. Ça ne change pas grand-chose aux qualités du jeu »… Et à cela j’aurais tebdance à répondre « oui mais non ».
« Oui » parce qu’effectivement, on peut profiter de l’essentiel des mécaniques de jeu sans ça, mais « non » parce que, d’une part, le jeu ne parvient pas à pleinement aboutir sa promesse de résolution, ce qui en fait tomber l’effet et laisse le goût amer de celui qui s’est fait mener en bateau. Et puis d’autre part, on ne peut ignorer vers quelles mécaniques absurdes le jeu tend pour arriver jusqu’à cette vraie fin.


Parce que oui, il faut savoir que, pour que nous soit révélée cette vraie fin, le jeu nous oblige notamment à :
- jouer de mécaniques très complexes de sauts couplées à des remhobinages multiples en des lieux précis mais pas du tout indiqués ;
- attendre pendant deux heures qu’une plateforme mystérieuse apparaisse, sans qu’aucune indication nous ne nous soit donnée sur cette durée et sur ce lieu :
- composer de manière particulière un puzzle pour faire apparaitre un autre motif, ce qui implique donc de ne surtout pas réaliser normalement le puzzle sous peine d’être définitivement barré pour la résolution de cette énigme…
Tout ça doit se faire sans indication, avec une dextérité de dingue, et le tout pour huit items différents.
C’est juste d’une connerie abyssale et, ça, pour moi, ça participe totalement de cet état d’esprit que je déteste dans le jeu vidéo et dont Jonathan Blow est désormais un habitué : l’élitisme par la soumission.


Il y a des jeux qui, comme ça, trainent ce genre de réputation : ils sont abusivement durs, si bien que ceux qui les finissent malgré tout bénéficient mécaniquement d’une certaine aura. On est obligé de faire un petit « Ah ouais putain le forcené… » parce qu’on sait le niveau de sacrifice et de dévotion que ça exige pour parvenir à ce genre d’exploit. Et c’est d’ailleurs ce qui fait que, parfois, le jeu en question peut bénéficier par effet miroir d’une sorte de notoriété similaire. Parce que le jeu permet de distinguer les « vrais », alors ça devient un jeu de vrais. Un vrai jeu quoi…
…Mais à bien y réfléchir, que prouve vraiment ce genre de performance, à la fois par rapport au jeu comme par rapport au joueur ?
Quel gain à cacher la vraie fin derrière de telles barrières presque infranchissables ? Pourquoi à ce point entraver l’accès à cette dernière pièce du puzzle narrative qui permet d’en comprendre le sens véritable ?
Réponse ?
Tout simplement par élitisme.


Il y a cette idée dans ce Braid que la vraie fin se mérite et qu’elle ne peut être donnée à tous.
Et pourquoi ça ? On ne saura jamais.
Ou plutôt si : on se doute un peu. En se démocratisant, le jeu vidéo a fait des nerds d’hier les savants d’aujourd’hui, et il ne s’agirait pas de perdre cette place privilégiée en se la faisant piquer par des casus de la dernière heure. Les vrais doivent rester ceux qui sont prêts à se sacrifier pour le game ; autrement dit ceux qui peuvent se permettre de consacrer des heures et des journées entières au jeu…
…Ou pour le dire encore autrement : celles et ceux qui n’ont que ça à foutre.
Attention : on peut passer du temps sur un jeu sans tomber dans la case du nerd qui n’a pas de vie. Là n’est pas mon propos. Mais par contre, quand un jeu nous oblige à attendre comme un con pendant deux heures – littéralement hein ! – qu’une plateforme apparaisse, il me semble évident que ce jeu ne nous invite pas à deux heures de rapport épanouissant au jeu. Il nous invite juste au trepalium, au rite de passage, au bizutage. Rien de plus.


Alors certes, en soi, cette fin alternative n’a pas non plus gaché mon expérience de Braid ; celle qui est accessible à tout un chacun. C’est d’ailleurs pour cela que je reste globalement sur une bonne – voire une très bonne – impression.
Malgré tout, cette fin alternative, c’est elle qui a participé à me laisser un goût amer dans la bouche sur mes dernières sessions de jeu… Ou pour être plus exact : c’est elle qui m’a permis de comprendre pourquoi, sur la fin du jeu – et je parle là de la fin standard – je commençais à me sentir sortir du truc.


De mon point de vue, Jonathan Blow a vraiment misé sur la mauvaise méthode pour conduire son cheminement et sa conclusion.
Au lieu de penser l’aboutissement de son expérience de jeu comme une métaphore à planquer dans une page de lore qui ne serait accessible qu’à quelques élus chevronnés, il aurait pu travailler à sa narration environnementale, voire à sa narration videoludique tout court.
Il aurait été tellement plus pertinent que, sur la dernière ligne droite du dernier monde, le jeu prenne la peine de nourrir le joueur de feed backs traduisant cette idée de dernier effort avant l’aboutissement. Pour le coup ça aurait permis de donner envie de cravacher encore plus et plus loin…
Au lieu de ça, ce dernier niveau utilise les mêmes décors, les mêmes ennemis, les mêmes musiques ; écors, ennemis et musique dont j’ai d’ailleurs déjà dit à quel point je les trouvais hors de propos…
Au lieu de l’envolée donc, le ton reste pour ce final totalement plat, rébarbatif, donnant l’impression de ne pas avancer… Alors qu’on est pourtant sur le pic de difficulté final.
Pour moi c’est un vrai gros mauvais point.
J’ai fini le jeu sur un « ouf » plutôt que sur un « ouah ».
Cette conclusion elle m’a donné envie de passer à autre chose. Pas d’y retourner…
…Surtout si c’est pour se cogner cette absurde quête aux étoiles.


Mais bon, malgré son échec final, cela n’entâche que partiellement le bilan de Braid qui reste, à bien tout prendre, plus que positif.
C’est un jeu intelligent, globalement maitrisé et sachant aller à l’essentiel. Et même si son ambition est teintée d’une certaine pédanterie mal placée, il n’empêche que ce titre a pour mérite de poser cette audace-là – cette audace d’un jeu total – où narration et expérience de jeu cherchent à se marier au service d’un propos subtil, profond et inattendu à l’époque dans ce média.
Car rappelons tout de même qu’à la sortie de Braid on est qu’en 2008. Et même si Jonathan Blow aura donc en partie échoué – du moins de mon point de vue – à aller jusqu’au bout de sa démarche, il me parait évident qu’il a su néanmoins ouvrir la voie à d’autres jeux de la scène indé qui eux, sauront transformer l’essai.
(Je pense notamment à Celeste…)


Alors oui, c’est sûr que César se la pête un peu, mais il faut néanmoins savoir lui rendre ce qui est à lui.
Il a certes connu ses échecs, mais de l’autre il a su initier et tresser toute une natte de jeux indés aux ambitions artistiques infinies.
Alors bravo à Jonathan Blow pour ça… Et au plaisir de découvrir ce qui se cachera derrière son mystérieux « Game Three »…

lhomme-grenouille
7

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Créée

le 10 sept. 2023

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