On a beau critiquer l’influence grandissante du cinéma sur les jeux vidéo, pointer du doigt la linéarité toujours plus assommante de ces AAA pâlissant d’envie d’être des films, moquer leur mise en scène imitatrice, leur rythme platement hollywoodien, leurs personnages stéréotypés, leurs séquences scriptées copiant en 3D les grands succès d’hier, leur durée de plus en plus resserrée, etc… on est souvent forcé d’aimer ça quand on joue à un survival horror. D’abord parce que c’est un genre historiquement cinématographique, qui a construit une grande partie de son identité sur un langage proche de celui du septième art : depuis les angles de vue précalculés et oppressants du premier Alone in the Dark en 1992 jusqu’à ce Resident Evil 7 qui butine allègrement du côté du found footage, le « jeu de genre » (?) et le cinéma de genre n’ont cessé de cultiver une très proche parenté. Ensuite parce qu’il y a toujours eu quelque chose de profondément excitant à être acteur, plutôt que spectateur, d’un film d’horreur. L’assurance d’une démultiplication des sensations, la certitude de prendre sa dose d’effroi quand un film ne peut qu’en délivrer la promesse, promesse d’ailleurs, aujourd’hui, de moins en moins tenue, car rarement le cinéma d’horreur aura traversé crise aussi inquiétante. Et de cinéma d'horreur, parlons-en. D’une programmation florissante il y a à peine dix ans (les Zombie, Aja, Maury & Bustillo, Laugier, Myrick & Sanchez, Miike, Shimizu pour ne citer que les plus connus), on est passé à un désert créatif trusté par une poignée de bouses sans nom qui ne font pas peur, ne sont pas bien jouées, sont montées avec les pieds et semblent avoir été conçues dans l’unique but de faire le buzz sur Facebook. Récemment, ce sont d’ailleurs deux franchises autrefois prestigieuses qui se sont fait martyriser : Ring pour l’une (merci Paramount), Blair Witch pour l’autre (merci Blumhouse). Fans d’horreur, les producteurs eux-mêmes ne vous veulent pas du bien et s’assurent que vous alliez voir leurs daubes pendant que les vrais cinéastes galèrent à monter leurs projets. Les pépites croupissent dans les festivals en attente d’une hypothétique distribution à grande échelle qui ne viendra jamais. Le seul moyen de se faire peur devient de regarder les infos. Comme dirait Arlette : on nous ment, on nous spolie.
Dans ce contexte, Resident Evil 7 est encore plus indispensable qu’il ne l’est réellement. Car oui, c’est un film. Interactif certes, avec ses moments de stress et ses gros monstres pas beaux qu’il faut réussir à viser sans trembler. Mais un film quand même. Ne laissez pas les mécaniques de jeu vous duper. Ni la gestion de l’inventaire, toujours présente mais plus chiante que stratégique. Ni les munitions ou objets de soin en quantité soi-disant limitée, dont votre coffre débordera en fin de partie, même en mode normal et même si vous avez joué comme un pied. Pas non plus ces points de sauvegarde, prétendument espacés mais qui se montrent plutôt omniprésents et soutenus par de fréquentes sauvegardes automatiques. La survie n’est pas vraiment un objectif en tant que tel. On vous le rappellera d’ailleurs en vous imposant souvent de mourir dans des séquences scriptées, chose qui n’est généralement pas très polie dans un jeu vidéo mais dont on se fout pourtant pas mal ici, comme si, quelque part, Resident Evil 7 n’était pas tenu de répondre aux exigences de conception d’un jeu vidéo classique. Parce que voilà, Resident Evil 7, c’est « juste » une compilation interactive des moments que vous avez aimé vivre au cinéma. Des moments que vous allez revivre de l’intérieur, à la première personne en pouvant cette fois regarder partout autour de vous, et, si vous êtes chanceux (ou pas), avec un casque de réalité virtuelle PS VR vissé sur la tête. Vous allez tailler une bavette avec les rednecks psychopathes de The Devil’s Rejects. Incarner le caméraman de la célébrissime séquence finale du Projet Blair Witch. Partager le repas de famille de Massacre à la Tronçonneuse. Tenter de fuir en bagnole le John Jarratt de Wolf Creek. Donner la main à Sadako. Vous faire malmener par la vioque de Jusqu’en Enfer ou les zombies de Rec. Bavarder avec ce brave flic noir sympathique qui ne se doute pas de ce qui l’attend, vous offrir quelques secondes sa présence rassurante avant de vous en priver tout aussi brutalement. Resident Evil 7, c’est ça. Et ça suffit à en faire une expérience exceptionnelle.
Il y aurait bien des choses à critiquer sur le « jeu ». Son total manque d’unité déjà, avec une structure qui ressemble à un empilement fragile de scènes cultes, sans aucun liant entre elles. Son scénario idiot et rafistolé à coups de rustines, qui essaye péniblement de trouver un prétexte logique à cette succession de moments disparates. Quelque part, Resident Evil 7 n’est, au même titre qu’Outlast, qu’une grosse opération marketing bien grasse qui essaye de vous faire croire à de l’originalité et à de la vision d’artiste. Les plus aigris, dont je fais habituellement partie, n’auront pas à réfléchir longtemps pour déceler tous les défauts qui le pourrissent, qui sont ceux de toujours plus de jeux AAA et qui s’annoncent comme la gangrène des prochaines générations : cette totale incapacité à trouver son propre style, à maintenir une ligne claire et cohérente, ce je m’en-foutisme intégral dès qu’il s’agit de construire un univers, des mécaniques solides, bref, ce refus catégorique d’assumer la moindre vision. Risquons la comparaison débile : si le premier Resident Evil, dans sa cohérence et son unité, avait la beauté et la fraîcheur d’une jeune paysanne innocente, ce dernier épisode serait plus à comparer à une prostituée obèse et cinquantenaire du quartier de la gare de Poitiers. Resident Evil 7 est un jeu vulgaire, bouffi, qui assène ses références sans finesse, tire ses innombrables séquences plagiées comme des coups de semonce au gros sel. On a parfaitement le droit de ne pas être client, voire de condamner une œuvre aussi grossièrement mutante ; au besoin, on pourra même rappeler que certains, il y a dix ans, posaient déjà (et mieux) les bases du jeu d’horreur à la première personne, que RE7 ne fait que récupérer (les développeurs rendent d'ailleurs plusieurs hommages à Condemned, voir ma critique de ce dernier).
Sauf que, voilà : ça fonctionne. Mieux, on apprend à reconnaître dans cette enfilade de clichés les indices d’un certain renouveau du survival horror. Absence de cohérence ne signifie pas absence d’intérêt, de la même manière que plagiat ne signifie pas médiocrité. Au contraire, Resident Evil 7 offre un rendu exceptionnel. C’est dans sa reproduction archi-précise d’un feeling cinématographique que le jeu trouve sa grâce, et c’est paradoxalement en acceptant de perdre toute personnalité qu’il finit par trouver la sienne. Le style des éclairages, le choix des couleurs, le grain de l’image, la qualité du sound design, s’ils ne témoignent d’aucune originalité, éblouissent par l’extrême proximité qu’ils entretiennent avec leurs modèles. C’est définitivement en le prenant comme un film interactif que Resident Evil 7 explose tout : la rétine, l’ouïe, le palpitant, le cerveau, à qui une petite voix murmure : « tu es dans le film ». Ainsi, sans forcément être un foudre de guerre technologique, le jeu bénéficie de shaders, d'animations et de lumières tellement chiadés qu’il finit par exercer un irrépressible pouvoir de fascination. Le manoir, ses lampes à la lumière faiblarde, ses murs crasseux. Le personnage qu’on incarne, sa démarche lente, sa vision légèrement altérée, ses mains qui se posent partout. Cette enfilade obscène de scripts souvent parfaitement calculés. C’est aussi son aspect « parc d’attractions », son petit monde ouvert à la progression prédéterminée, qui, avec ses nombreux et brutaux switchs de références, permet de ne jamais s’ennuyer, ce qui le rend très supérieur à Outlast par exemple, auquel on le compare trop et à tort. On y trouvera aussi une certaine finesse dans le level design, peut-être le seul élément de game design à atteindre un véritable niveau de qualité dans cette grosse mixture bizarre – il faut voir comment les passages s’enchaînent, la manière dont on passe d’un endroit à l’autre, où certaines portes dérobées nous emmènent, dans ce qui ressemble parfois à un grand labyrinthe thématique. Tout ça est sans doute assez vain, et il faut admettre qu’on n’a pas forcément envie de rempiler pour un second run. C’est très clair, Resident Evil 7 frappe fort mais sans finesse, et l’intensité des émotions qu’il procure n’aura pas vraiment de lendemain. Ce sont aussi les dernières heures qui agaçent, sorties de nulle part, trahissant davantage un processus de développement morcelé, trop tourné vers le spectacle et le « woah effect » des premières heures. Théoriquement, là encore, ce n’est pas poli. Mais après tout, un joueur de survival horror est forcément un peu maso.